De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
fois qu’une personne vient voir le Général, elle se fait assassiner, vous comprendrez que ce n’est plus possible.
Serait-ce là la raison qui détermina sa décision de refuser la grâce ? Je le crains.
Il arrive parfois que le Général se rende aux suggestions de son aide de camp. En avril 1966, il visite le Nord et le Pas-de-Calais. Le dimanche 24, il doit présider, à Lille, la Journée nationale des déportés par une cérémonie à la Noble Tour. La veille, les parlementaires de l’opposition ont refusé de lui être présentés à la préfecture. Le Général, qui fait toujours référence à son origine lilloise, n’est certainement pas insensible à cet affront.
De retour à la préfecture après la messe à laquelle il vient d’assister, je lui fais remarquer qu’il a juste le temps d’endosser son uniforme.
— Pourquoi mon uniforme ?
— Vous allez rencontrer les parlementaires à la cérémonie. En uniforme, passant devant eux, vous n’aurez pas à leur serrer la main sans être discourtois.
Ce qui fut fait. Le président de la République humiliait les parlementaires de l’opposition, contrits d’être négligés en public lors d’une cérémonie officielle… Tels sont pris qui croyaient prendre !
Le voyage en Allemagne du 4 au 9 septembre 1962 m’a laissé trois souvenirs très forts. Le 6, le Général s’adresse en allemand aux ouvriers de l’usine Thyssen de Düsseldorf, auxquels il demande de s’unir à lui pour « célébrer un fait nouveau, l’un des plus grands des temps modernes : l’amitié de la France et de l’Allemagne ».
Puis, c’est la visite à Hambourg. Les officiels du gouvernement de Bonn nous ont prévenus. Il ne faut pas s’attendre à de grandes manifestations dans le port libre de la Hanse. Or, quand nous arrivons place du Sénat, l’enthousiasme est tel que le barrage des Schupos est enfoncé et que le Général a le plus grand mal à serrer quelques mains.
Mais le souvenir le plus marquant reste celui de Ludwigsburg, le 9. La jeunesse allemande est rassemblée dans la cour rectangulaire du château. Après que le président Lübke s’est exprimé, le Général s’adresse de nouveau en allemand à la foule qui l’attend avec un certain scepticisme. Mais, rapidement, on sent monter l’attention et l’émotion. Lorsqu’il en vient à parler des « enfants d’un grand peuple, oui ! d’un grand peuple »,un frisson parcourt l’auditoire, au point que je dis à Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, que nous n’allions plus rentrer à Paris, les jeunes Allemands ayant retrouvé un Führer !
Il arrive aussi à l’aide de camp d’empêcher son président de commettre des imprudences. Le 8 février 1968, le Général gagne Toulon afin de rendre un hommage national aux marins disparus dans le naufrage du sous-marin Minerve , le 27 janvier précédent.
Après la messe sur la place d’armes, il reçoit les familles des disparus à la base sous-marine de l’arsenal. À la surprise de tous les assistants, le sous-marin d’attaque Eurydice accoste pour prendre le président à son bord. L’amiral Patou, chef d’état-major de la Marine, et moi-même sommes les seuls à l’accompagner. Pour éviter l’embarquement par le panneau du kiosque – le sous-marin est à l’appareillage aux postes de combat, tous panneaux fermés –, j’obtiens de l’amiral Philippon, alors chef de l’état-major particulier, que le Général embarque par le panneau des torpilles situé à plat pont sur l’avant. C’est un accès bien plus facile, d’autant que nous avons installé, pour la circonstance, un escalier de bois. Je me dois de préciser que les sous-marins d’attaque de six cents tonnes de la classe Daphné sont vraiment de petits sous-marins dans lesquels les déplacements sont difficiles.
Le trajet de l’arsenal au lieu présumé du naufrage de la Minerve est mis à profit pour déjeuner dans le carré exigu. Patou et le Général échangent des considérations sur les armements futurs de la Marine. En fait, de Gaulle se renseigne pour pouvoir décider, ultérieurement, et en connaissance de cause. C’est, chez lui, une façon de faire habituelle.
On arrive, enfin, sur la zone où la Minerve a disparu. Le Général doit se rendre dans le poste central d’où une échelle verticale de quelque dix mètres mène au kiosque. C’est de ce kiosque qu’il lance la gerbe à la mer.
J’interviens
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