De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
sait que le cortège essuie des rafales de fusil-mitrailleur et de pistolets automatiques qui atteignent la carrosserie de la DS présidentielle et crèvent deux de ses pneus. Si le Général ne s’était pas baissé sur injonction très ferme de son gendre, il aurait eu le crâne fracassé par une balle. Marroux, le chauffeur, ayant écrasé l’accélérateur, réussit à conduire la voiture jusqu’à Villacoublay. Belle performance pour Citroën, qui eut le bon goût de n’en pas faire état dans ses prospectus !
Le Général, après avoir passé en revue le piquet d’honneur comme si de rien n’était, déclare cependant que « cette fois, ça a été tangent » avant de monter dans l’avion. De son côté, Mme de Gaulle s’enquiert de ses poulets achetés chez Fauchon pour le déjeuner du lendemain, et qui étaient dans la voiture d’accompagnement. Elle pense à ses poulets, et non pas aux policiers qui se trouvaient dans la même voiture !
À compter de ce jour, seuls les aides de camp accompagneront le président de la République.
Certains des conjurés sont rapidement identifiés et arrêtés. En revanche, il faut plusieurs mois d’interrogatoires pour remonter au responsable de l’attentat du Petit-Clamart, l’ingénieur en chef de l’armement Bastien-Thiry. Condamné à mort par le tribunal, les supputations vont bon train sur la décision du président de la République : va-t-il le gracier ou non ?
Dans mes Souvenirs d’o utre-Gaulle , j’ai écrit que les avocats de Bastien-Thiry n’avaient pas rempli leur devoir car il leur eût été facile de sauver leur client en plaidant l’irresponsabilité. Bastien-Thiry avait, en effet, séjourné précédemment en hôpital psychiatrique, un séjour qui avait même nécessité son enfermement en chambre forte. J’ai été, ainsi que Plon mon éditeur, cité en justice pour diffamation par maître Isorni, avocat de Bastien-Thiry. Or c’est celui-ci qui n’a pas voulu que l’irresponsabilité soit plaidée. Je persiste à croire que les avocats doivent tout faire pour sauver leurs clients, quelles que soient leurs volontés.
Le président, comme il se doit, fut saisi du dossier de grâce. Aujourd’hui, les présidents de la République se sont dessaisis de ce lourd privilège – ô combien ! – datant de la royauté.
Pour le général de Gaulle, le cas de Bastien-Thiry est d’autant plus difficile qu’il a été la cible de l’attentat. S’il laisse fusiller le condamné, sa décision ne sera-t-elle pas interprétée comme une vengeance ? S’il le gracie, comme il a gracié Bougrenet de La Tocnaye et Prévost, sa décision ne passera-t-elle pour un signe de faiblesse de l’État qui, à l’époque, est fragilisé ?
Plusieurs considérations ont probablement pesé sur sa décision de faire exécuter la sentence : que le chef des conjurés, qui a tout fait pour qu’on ne puisse pas remonter jusqu’à lui, ne soit pas à la tête de son commando au moment de l’attentat ; qu’il ait recruté ses hommes parmi des légionnaires apatrides ; que ceux-ci n’aient pas hésité à tirer sur des innocents, Mme de Gaulle, le chauffeur, l’aide de camp, les policiers de la voiture accompagnatrice, les passants dans la rue.
Dans une récente émission de télévision, Bougrenet de La Tocnaye expose complaisamment et froidement que les chefs de l’OAS, Bidault et Soustelle, avaient décidé d’assassiner, sur le seuil de sa demeure à Neuilly, le banquier Henri Lafond, ancien résistant, ami du Général, afin de contraindre celui-ci à gracier l’auteur du crime !
Quel manque de psychologie de leur part. Leur action ne pouvait que précipiter la décision du président de la République. Le Conseil supérieur de la magistrature ayant été entendu, ainsi que les avocats maîtres Dupuy et Engrand, la sentence de mort est exécutée et le condamné fusillé. Alain Decaux a eu beau présenter Bastien-Thiry comme un colonel – ce qu’il n’était pas –, destiné au plus haut grade de l’armée de l’air – ce qui ne pouvait être –, comme un chrétien exemplaire animé des meilleurs sentiments envers autrui, il n’en demeure pas moins que, pour moi, il est un assassin. En fait, un régicide habité par une volonté de vengeance haineuse.
D’après mon camarade Teisseire, le Général penchait pour la grâce, lorsque Lafond fut assassiné. Mme de Gaulle eut alors ce commentaire :
— Si chaque
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