Délivrez-nous du mal
alors la discussion sur un certain garçon nommé Rainerio qu’il croyait travailler au service de Rasmussen et qui semblait avoir disparu. Il prétendit qu’on le paierait une bonne somme s’il en découvrait un peu sur le garçon.
Le visage de Marteen s’illumina, trop heureux de ces coïncidences qui lui permettaient de s’acquitter de sa dette envers son sauveur ; oui, il connaissait ce Rainerio !
— Il est depuis deux ans aux côtés de monseigneur Rasmussen, dit-il. J’ignore comment un tel garçon est parvenu à devenir l’assistant d’un si grand prélat ! Il n’a pas de famille pour le pousser dans le monde, ni d’appui d’aucune sorte à Rome. Il aidait Rasmussen à constituer les plaidoyers présentés à la Congrégation.
— Rasmussen et Rainerio travaillaient récemment ? Nous sommes privés de pape depuis près d’un an. Seul le souverain pontife peut autoriser une sanctification ; comment un procès de canonisation pourrait-il se tenir ?
Marteen haussa les épaules :
— Dès son élection, chaque pape nouveau s’empresse de sanctifier des bienheureux en nombre, afin de signifier par ses choix le début de son apostolat. Cela est hautement politique. Rasmussen se préparait aux nombreux procès qui allaient bientôt être instruits. Seulement depuis quelque temps, Rainerio se faisait rare, il rechignait à la tâche, venait de moins en moins au palais. Rasmussen s’en plaignait.
Bénédict repensa aux révélations de Tomaso, l’ami de Rainerio, qui avait parlé d’un tempérament mélancolique, voire craintif. « La prochaine fois que tu entendras parler de moi, tu pourras faire ton deuil de me revoir vivant. »
Le Flamand continua :
— Au point que j’ai dû, la semaine dernière, faire envoyer deux hommes pour l’aller chercher.
Bénédict sursauta.
— Les deux hommes venus le prendre chez lui, c’était sous l’ordre de Rasmussen ? demanda-t-il.
Marteen acquiesça.
— Qui étaient-ils ?
— Des agents du Latran affectés à la sécurité de la Congrégation. Cela s’est passé le jour de la mort de Rasmussen. Rainerio ne s’est jamais présenté au palais. Sans doute a-t-il été impressionné par la police qui avait envahi les lieux. Depuis ce jour, je n’ai plus de nouvelles de lui.
— Et les deux gardes ? Que disent-ils ?
— Leur rapport prétend que leur mission a été accomplie de bout en bout : Rainerio aurait été conduit au palais d’Henrik Rasmussen.
Bénédict resta un moment silencieux. Il tenait là un élément de poids. Encore difficile à circonscrire, mais qui devait être capital.
Marteen avait réussi à se réchauffer et à se remettre de ses émotions, appuyé contre du sable, toujours sans manteau et sans chaussures.
Bénédict interrogea encore :
— Pourriez-vous me dire sur quels dossiers de canonisation travaillaient Rasmussen et Rainerio ces derniers temps ?
Le Flamand secoua la tête.
— Je ne m’occupais pas de ces affaires… Je sais seulement qu’un problème lié à un certain village de Cantimpré les occupait ces derniers mois.
— Cantimpré ?
— Oui, le village aux miracles.
Comme beaucoup à Rome, Bénédict avait entendu parler de ce petit village du Quercy où l’on disait, il y a cinq ou six ans, qu’il se voyait quantité de prodiges inexplicables. Cependant la montagne avait accouché d’une souris : plus personne n’en parlait.
— Pour le reste, ajouta Marteen, sur ordre de sa sœur Karen, j’ai mis le feu à tous les documents d’Henrik Rasmussen. Ils ont brûlé, jusqu’au dernier. Personne n’en saura rien. Plus jamais.
— Si je voulais découvrir les travaux de la Sacrée Congrégation pour en savoir plus, dit Gui, comment m’y prendrais-je ?
Marteen sourit.
— Ne rêvez pas. Savez-vous seulement ce que représente ce collège de prélats ? Ce n’est pas rien d’élire un saint ! Imaginez que la Sacrée Congrégation tombe aux mains des ennemis de la papauté… C’est pour ça qu’elle est si secrète. Les membres changent fréquemment, elle se réunit dans des lieux différents et ses débats ne sont jamais consignés par écrit. J’ai passé les dix dernières années aux côtés de Rasmussen, et pas un fait, pas un indice, n’a transpiré jusqu’à moi.
— Et Karen Rasmussen ?
Marteen haussa les épaules :
— Oh, elle, elle ne pense qu’à fuir et à enterrer son frère à Tournai. Elle a toujours exécré Rome.
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