Dernier acte à Palmyre
avait motivé leurs plaintes. Ils s’étaient enfin rendu compte qu’il y avait un assassin parmi la troupe. Tant qu’il massacrait des plumitifs, ce n’était pas très grave, mais voilà qu’il s’attaquait aux musiciens. Alors ils se demandaient quelle serait la prochaine victime.
— Vous avez raison d’avoir peur, compatis-je. Mais quel était le motif exact de votre dispute avec Chremes ?
— On veut partir, m’informa le joueur de cymbales, et on veut que Chremes nous paye la saison…
— Attends, le reste de la troupe a reçu sa part de la recette d’hier, vos contrats sont-ils différents ?
— Pour être différents, ils sont différents ! Chremes sait que les comédiens et les auteurs ont tellement de mal à se faire engager qu’ils le quitteront pas avant qu’il les pousse dehors. C’est pas pareil pour les musiciens et les machinistes qui trouvent du travail bien plus facilement. Alors il nous verse un minimum et attend la fin de la tournée pour nous payer le solde.
— Et il refuse de vous le verser maintenant ?
— Il nous donnera rien si on le quitte avant la fin de la tournée. L’argent est dans le coffre qui se trouve sous son lit, et il nous a dit qu’il en bougerait pas. Alors nous, on lui a répondu que ses Oiseaux resteraient dans la volière. Et on a bien l’intention de pas bouger d’ici pour l’empêcher de nous remplacer. Mais on refuse de participer au spectacle. Il n’aura ni décor ni musique. Les spectateurs de ces villes grecques le trouveront tellement ridicule qu’il devra s’enfuir de la scène.
— Les Oiseaux ! Ça, c’était vraiment la dernière goutte, grommela Ribes, le jeune joueur de lyre.
Il n’avait rien d’un Apollon. Il ne jouait pas bien, et il n’était pas davantage en mesure d’impressionner les foules par sa beauté majestueuse. Il me paraissait aussi appétissant que de la polenta oubliée depuis trois jours.
— Il s’était mis en tête de nous faire gazouiller comme des foutus moineaux.
Afrania intervint à son tour.
— Alors, Falco, dis-nous plutôt ce qui t’a poussé à t’aventurer parmi les fauteurs de trouble de la classe inférieure…
— J’ai cru que je pourrais peut-être vous aider.
— Ça, je me demande bien comment ! s’exclama la femme d’un machiniste.
— Je ne sais pas encore, mais il m’arrive d’avoir de bonnes idées.
— Il veut dire des idées cochonnes, suggéra une autre de ces femelles épaisses, dont les pensées étaient sans nul doute bien plus salaces que les miennes.
Surtout à ce moment précis !
— Je suis venu vous consulter, poursuivis-je bravement, en pensant que vous pourriez m’aider à résoudre les deux crimes qui ont été commis. Et je crois qu’aucun de vous ne court aucun risque.
— Comment peux-tu le savoir ? demanda le chef d’orchestre.
— Évidemment, je ne peux pas faire de promesses au nom d’un homme pour qui la vie humaine semble compter si peu. Et j’ignore toujours pourquoi il a tué Heliodorus. Mais en ce qui concerne Ione, la raison est beaucoup plus claire.
— Aussi claire que la boue sur mes chaussures ! déclara Plancina d’un ton rogue.
Je ressentais toujours beaucoup d’hostilité de leur part, mais j’avais accompli un certain progrès : maintenant, ils m’écoutaient attentivement.
— Ione savait qui a tué le scribe, leur annonçai-je. Et elle avait promis de me révéler son nom. Il a dû la tuer pour l’empêcher de parler.
— Donc, on risque rien si on se balade en criant à la cantonade qu’on ignore tout de ces meurtres ?
Le chef d’orchestre s’exprimait sèchement mais n’était pas trop sarcastique.
L’ignorant complètement, je lançai :
— Si seulement je savais avec qui Ione avait rendez-vous, la nuit où on l’a tuée, je saurais tout. Elle était votre amie. Je suis certain que l’un de vous s’est fait sa petite idée là-dessus. Elle a pu dire à quelqu’un ce qu’elle comptait faire ce soir-là, et elle a peut-être mentionné le nom d’un homme qu’elle aimait bien… (Pour couper court aux plaisanteries, je me hâtai d’ajouter :) Elle était très populaire. Elle a sans doute accepté d’agiter son tambourin pour certains d’entre vous… Je me trompe ?
Seuls deux des hommes présents l’admirent franchement. Les autres protestèrent qu’ils étaient mariés, comme si ce seul fait confirmait leur innocence. En tout cas, je ne pouvais pas me permettre de les interroger en présence de
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