Dernier acte à Palmyre
dit que quatre jours étaient nécessaires pour gagner Palmyre. C’était sans doute le temps qu’il aurait fallu aux hommes de notre escorte et à leurs chameaux sans être encombrés de chars à bœufs surchargés et menés par des amateurs geignards. Ils avaient bien insisté pour que nous abandonnions tout ce qui avait des roues, mais n’avaient pas réussi à nous convaincre. Nous nous étions tout de suite imaginé qu’il s’agissait d’un coup monté, et que des complices viendraient récupérer nos carrioles si nous les laissions derrière nous. Nous finîmes par nous rendre compte à nos dépens que leurs conseils étaient sincères. Des mules et des bœufs traversaient ces étendues désertes bien plus lentement que des chameaux, supportaient des charges moins lourdes et se fatiguaient plus vite. En outre, nos guides nous signalèrent aimablement qu’à Palmyre, nous aurions à payer une taxe locale exorbitante sur chaque chariot que nous voudrions rentrer dans la ville.
Nous répondîmes que, puisque nous n’avions rien à vendre, nous les laisserions à l’extérieur. Il n’empêche que notre escorte continuait d’être morose. Il fallut leur expliquer que charger deux grandes portes avec leurs chambranles sur un chameau, plus la plaque tournante de notre machinerie qui servait à faire apparaître et voler les dieux, s’avérerait impossible, et que dans ce cas nous serions obligés de renoncer à ce voyage. Finalement, après avoir longuement hoché la tête, ils nous permirent de faire cette folie. À la vérité, ils ne tardèrent pas à retirer une certaine fierté d’avoir à escorter ce groupe d’excentriques.
Mais leurs réticences étaient bien fondées. Nous ne tardâmes pas à tous nous plaindre de la lenteur avec laquelle avançaient nos chariots sous une chaleur suffocante. Nous tentions de nous consoler en pensant que nous avions échappé à quatre jours d’agonie sur la selle d’un chameau, ou à quatre jours d’ampoules aux pieds en tenant un chameau par la bride. Mais en voyant le voyage s’éterniser et nos animaux souffrir, nous regrettions notre choix. Les chameaux retiennent une certaine humidité en cessant de transpirer – leur seule restriction en ce qui concerne les fonctions corporelles ! –, tandis que nos bœufs, nos mules et nos ânes étaient en aussi triste état que nous-mêmes. Nous devions ménager l’eau en ne buvant que de quoi survivre. Pour un Romain, ce mode d’existence n’avait qu’un seul intérêt : nous rappeler combien l’existence est supérieure dans notre cité civilisée.
Le désert était aussi ennuyeux qu’inconfortable. De temps à autre, nous apercevions un chacal couleur de sable qui vaquait à ses affaires sans s’occuper de nous, ou une buse tournoyant dans le ciel. Si nous rencontrions un troupeau de chèvres gardé par une silhouette solitaire, cette vision d’humanité nous paraissait surprenante dans toute cette désolation. Quand nous croisions une autre caravane, les escortes de chameliers échangeaient des propos joyeux, mais enveloppés dans nos robes, nous adoptions l’attitude furtive d’étrangers dont le seul intérêt commun serait de se plaindre de leur escorte – un sujet complètement tabou. Il y avait des couchers de soleil fabuleux suivis de nuits superbement étoilées. Ils ne parvenaient pas à compenser les jours suivants, où il fallait s’entortiller la tête encore plus étroitement dans nos turbans, dans une vaine tentative de lutter contre le sable chaud qu’un vent perfide nous projetait dans le visage. Il y avait aussi les heures perdues à cogner nos bottes contre les rochers et à secouer le matériel de couchage, matin et soir, véritable rituel de la chasse au scorpion.
Nous avions parcouru environ la moitié du chemin quand la catastrophe se produisit. Nous commencions à assimiler les techniques de survie dans le désert, mais ne nous sentions pas pour autant en sécurité. Nous suivions de notre mieux les conseils que nous donnaient les autochtones, mais l’instinct, qui seul assure une véritable protection, nous faisait encore défaut.
Nous nous étions arrêtés, complètement exténués, et nous activions à établir notre campement. Nous occupions un emplacement tout à fait banal au bord de la piste. Il était cependant connu des nomades qui venaient y vendre de l’eau puisée dans des marais salants. Le liquide était imbuvable, mais leurs manières, charmantes. Je me
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