Dernier acte à Palmyre
à franchir ce mauvais pas. Mon cœur commençait à retrouver son rythme normal.
Au bout d’un instant, elle murmura :
— Ne t’inquiète pas.
Ne pas m’inquiéter ! C’était vite dit…
Elle me caressa les cheveux de sa main valide. Je la sentais même essayer de démêler l’enchevêtrement de mes boucles qu’elle disait aimer. Je me promis qu’à l’avenir, je rendrais visite au barbier régulièrement pour qu’elle soit fière de se montrer avec moi. Ce n’était pas, hélas, la première fois que je me faisais cette promesse. Je sentais que je me détendais sous la caresse familière de ses doigts, mais ce fut elle qui finit par s’endormir.
Helena dormait toujours. J’étais accroupi à son chevet, la tête entre les mains, quand un bruit à l’entrée de la tente me fit lever les yeux. C’était Musa.
— Est-ce que je peux t’être utile, Falco ?
Je secouai furieusement la tête. Je me disais qu’il allait la réveiller. Je fus conscient qu’après avoir hésité un bref instant, il ramassait son poignard qui gisait toujours à l’endroit où je l’avais laissé tomber. Oui, il y avait une chose qu’il pouvait faire : un homme devrait toujours nettoyer son propre poignard. Je ne lui exprimai cependant pas ma pensée, car j’avais peur de me montrer beaucoup trop dur.
Il disparut.
Un grand moment plus tard, ce fut Plancina, la joueuse de flûte de Pan, qui passa la tête. Comme Helena somnolait toujours, je sortis chercher l’énorme bol qu’elle m’apportait. Il débordait de la soupe que concoctaient toujours les machinistes en arrivant quelque part. Même dans les endroits les plus isolés, ils plaçaient leur chaudron sur le feu à l’instant même où nous nous arrêtions. La fille resta à me regarder manger, sans doute satisfaite de sa bonne action.
— Merci. C’était bon.
— Comment va-t-elle ?
— Après le poison et l’entaille du couteau, seuls les dieux peuvent l’aider, maintenant.
— Alors on va brûler de l’encens. Ne t’en fais pas. On est beaucoup à vouloir prier pour elle.
Voilà que je me retrouvais dans le rôle de l’homme dont la femme était malade. Pendant que je soignais Helena Justina, toutes les autres femmes allaient vouloir jouer le rôle de mère auprès de moi. Ma vraie mère les aurait toutes écartées sans ménagement avant de prendre la direction des opérations. Personnellement, elle m’aurait laissé le choix entre la boisson et la débauche pour m’occuper l’esprit. Il faut dire qu’ayant été mariée à mon père, elle n’avait pas une très haute opinion des hommes.
— On a parlé aux chameliers, ajouta Plancina, empêchant mes pensées de s’égarer davantage. Ils disent que ces morsures ne sont pas fatales dans ce coin. Mais il ne faut pas que la blessure s’infecte. Tu devras faire très attention.
— C’est plus facile à dire qu’à faire.
Bien des adultes, apparemment en excellente santé, mouraient après ce qui avait d’abord semblé un accident bénin. Et même les généraux impériaux, disposant de toute la panoplie des remèdes grecs et romains, n’étaient pas immunisés contre les infections nées d’une égratignure. Ici, nous étions entourés de sable et de poussière qui pénétraient absolument partout. Non seulement il n’y avait pas d’eau courante, mais il y avait tout juste assez d’eau pour boire à sa soif. Alors, pour ce qui était de nettoyer les blessures… Les apothicaires les plus proches devaient être à Damas ou à Palmyre. Ils jouissaient d’une excellente réputation, mais se trouvaient à plusieurs jours de voyage.
Nous parlions à voix basse, pour ne pas réveiller Helena. J’étais heureux d’exprimer les remords qui me torturaient.
— Je me sens entièrement responsable.
— Tu as tort, Falco. C’était un accident.
— Un accident qu’on aurait pu éviter !
— Ces scorpions se fourrent partout. Helena n’a pas eu de chance, c’est tout. (Voyant que j’étais toujours aussi abattu, Plancina ajouta avec une bienveillance inattendue :) Elle était plus prudente que nous tous réunis. Elle ne méritait vraiment pas ça.
J’avais toujours pris la joueuse de flûte de Pan pour une effrontée. Elle avait son franc-parler, un humour féroce, et aimait porter des tuniques fendues des deux côtés jusque sous les bras. Quand il s’agit d’une vierge de Sparte dansant autour d’un vase, cette façon de se vêtir paraît le comble de
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