Dernier acte à Palmyre
enfilé une chaussette sur la tête.
Un peu indécis sur la suite à donner aux récents événements, je ne fus pas fâché d’avoir quelque chose à faire. Je sautai dans la foule et tendis le bonnet à la ronde. Pour éviter de voir les gens s’éclipser sans rien donner, Grumio continuait son boniment : — Oh ! c’était vraiment réussi. Merci, Marcus ! Quel personnage, hein ? Dites-moi maintenant, est-ce qu’il y a parmi vous quelqu’un de Capitolias ?
Musa et moi atteignîmes Helena en même temps.
— Par Junon ! Qu’est-ce que tu as ?
Percevant la tension dans ma voix, Musa recula d’un pas.
Je connaissais suffisamment Helena pour interpréter son immobilité. Je devinais que son attitude n’avait rien à voir avec le numéro de Grumio. Helena s’était mise à ma recherche. Pendant un moment, elle fut incapable de me dire pourquoi, et les pires hypothèses me traversèrent l’esprit.
Je suis certain que Musa pensait comme moi qu’elle avait été attaquée. Avec douceur mais fermeté, je l’entraînai vers un endroit plus tranquille. Mon cœur battait à me défoncer la poitrine. Elle le savait et m’empêcha de continuer.
— Je vais bien, me rassura-t-elle. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit.
— Oh ! ma chérie ! m’exclamai-je en la serrant dans mes bras.
Pour une fois, j’étais reconnaissant au destin. Je devais être décomposé. Elle appuya brièvement sa tête contre mon épaule. Musa fit mine de partir pour nous laisser seuls, mais je lui fis signe de rester. Même si Helena n’était pas concernée, il y avait un problème, et j’aurais peut-être besoin d’aide.
Helena releva les yeux. Elle avait repris le contrôle d’elle-même.
— Marcus, il faut que tu m’accompagnes.
— Que s’est-il passé ?
Le chagrin lui serrait la gorge, mais elle parvint à dire : — Je devais rencontrer Ione aux bassins de Maiuma. Quand j’y suis arrivée, je l’ai trouvée dans l’eau. On dirait qu’elle s’est noyée.
30
Je me rappelle encore les grenouilles.
Nous venions d’arriver dans un lieu dont la calme beauté était propice à apaiser l’âme. Pendant la journée, ce site sacré devait être noyé de soleil et bruire du chant des oiseaux. À la nuit tombante les oiseaux s’étaient tus, mais les innombrables grenouilles qui peuplaient les eaux encore tièdes des bassins avaient entamé un concert qui eût ravi Aristophane lui-même. Elles croassaient à nous rendre sourds, complètement insensibles aux crises humaines.
Souhaitant arriver sur les lieux le plus vite possible, nous étions venus tous les trois à dos d’âne. Pour atteindre les bassins, il fallait traverser toute la ville en direction du nord, et nous eûmes la malchance d’être bloqués deux fois par des embouteillages, quand la rue principale, la Decumanus, traversait des carrefours importants en réfection. Après avoir franchi la porte nord, nous suivîmes une route beaucoup plus calme traversant une vallée fertile et bordée de villas construites à flanc de colline et nichées dans des jardins plantés d’arbres. L’atmosphère était plus fraîche, et partout semblait régner une grande quiétude. Nous passâmes devant un temple qui nous parut désert.
L’obscurité nous empêchait de trouver facilement notre chemin. Mais quand nous franchîmes enfin l’arche conduisant aux bassins sacrés, nous trouvâmes des lampes suspendues dans les arbres, rappelant des vers luisants, et des torches fichées dans le sol. Quelqu’un devait surveiller le site, même si pour l’instant nous ne voyions personne.
Helena, montée en croupe sur mon âne, s’était agrippée à moi pendant tout le trajet. Elle m’avait donné quelques détails supplémentaires que j’avais écoutés, en essayant de ne pas lui montrer combien j’étais irrité par son imprudence.
— Tu sais bien, Marcus, qu’Ione prétendait avoir des choses à raconter à propos d’Heliodorus. Il fallait bien trouver un moyen de lui parler discrètement.
— Je ne dis pas le contraire.
— Eh bien, j’avais réussi à arranger ce rendez-vous ici avec elle.
— Vous aviez l’intention de plonger nues toutes les deux ?
— C’est pas le moment de plaisanter. Nous avions décidé de venir à plusieurs pour visiter le site. On nous a dit qu’en dehors du festival, les gens venaient ici pour se baigner normalement.
— Oui, je vois ça d’ici !
— Enfin, Marcus ! Écoute-moi donc. Nous n’avions pas fixé
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