Dernier acte à Palmyre
de mer du Pirée.
Musa s’autorisa un bref commentaire en arabe. La langue maternelle de l’ancêtre devait être l’araméen, mais le ton méprisant employé par notre prêtre personnel était fort explicite.
— Est-ce que vous avez beaucoup de morts à déplorer, ici ?
Ma propre voix me paraissait hautaine. Je me faisais l’impression d’être un tribun condescendant posté à l’étranger, haranguant les indigènes pour leur montrer combien il les méprisait.
— Trop d’excitation ! croassa le libidineux vieillard.
Ce qu’il pensait était tout à fait clair : de dangereux ébats sexuels venaient d’avoir lieu, auxquels Ione, Helena, Byrria, Musa et moi-même avions pris part. Je ne regrettais plus de m’être montré arrogant avec lui. Partout dans le monde, des individus font tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’on les méprise.
— Et quelle est la procédure à suivre ? demandai-je aussi patiemment que je le pouvais.
— Procédure ?
— Que faut-il faire du cadavre ?
Il écarquilla les yeux de surprise.
— Eh bien, si cette fille est une de vos amies, vous l’emmenez pour l’enterrer.
J’aurais dû le deviner. Il n’y avait pas de comparaison possible entre trouver le corps nu d’une fille aux fins fonds de l’Empire, dans le cadre d’un festival impudique, et la découverte d’un cadavre dans l’un des secteurs de Rome.
J’eus brièvement l’intention de demander l’ouverture d’une enquête officielle. Une telle fureur bouillonnait en moi que je voulais appeler la garde, le magistrat local, et placarder un avis au forum demandant à tous les témoins éventuels de se présenter. Je réfléchis alors que notre troupe allait être mise aux arrêts pendant l’investigation, et qu’il faudrait probablement attendre six mois avant l’ouverture d’un procès… Le bon sens l’emporta.
Je fourrai autant de pièces dans la main du vieux qu’elle pouvait en contenir.
— D’accord, nous l’emmenons. Mais dis-moi, tu n’as vraiment rien vu ?
— Oh non !
Il mentait. Je n’avais aucun doute à ce sujet. Et je savais aussi qu’avec toutes les barrières de la langue et de la culture entre Rome et ce sordide lieu de plaisirs, je ne serais jamais en mesure de le lui faire admettre. Pendant un instant, je me sentis complètement dépassé par les événements. J’éprouvai soudain un violent désir de me retrouver chez moi, dans les rues qui m’étaient familières. Ici, je n’étais d’aucune utilité pour personne.
Musa s’approcha de moi et parla de sa voix la plus profonde. Elle ne contenait aucune menace, mais exprimait une autorité indéniable – c’était un peu comme si Dushara, le dieu sévère de la montagne, venait d’apparaître.
Il échangea quelques phrases en araméen avec l’homme âgé qui ne tarda pas à disparaître parmi les pins en balançant sa jarre d’huile à bout de bras. Il se dirigeait vers l’endroit d’où provenaient les bruits, tout à fait à l’autre bout du gigantesque bassin. L’obscurité s’était épaissie et l’air s’était rafraîchi. Ce lieu, supposé sacré, me paraissait de plus en plus sordide. Le chœur des grenouilles nous assourdissait complètement. Les eaux du réservoir venaient presque me lécher les pieds. Des moucherons ne cessaient de se poser sur mon visage.
— Merci, mon ami ! As-tu réussi à lui faire cracher son histoire ?
Musa me regarda d’un air sombre.
— Il était occupé à ramasser les pignes et les aiguilles de pin. Il m’a dit qu’Ione était arrivée toute seule, puis qu’un homme était venu la rejoindre. Cet imbécile est incapable de le décrire, parce qu’il gardait les yeux fixés sur la fille.
— Comment as-tu réussi à le faire parler ?
— Je lui ai dit que tu étais tellement en colère que tu allais te plaindre aux autorités, et qu’il risquait d’être blâmé pour l’accident.
— Musa ! Qui t’a appris à menacer un témoin ?
— Il a suffi que je t’observe.
Il s’était exprimé d’une voix posée. Même dans une situation aussi pénible, le Nabatéen avait envie de plaisanter.
— N’importe quoi ! Je n’emploie jamais aucun moyen de pression. Mais qu’est-ce que ce vieux voyeur t’a dit d’autre ?
— Dans l’eau, Ione et l’homme se sont conduits comme des amants. Mais au plus fort de leur passion, la fille a paru avoir des ennuis et a tenté de gagner les marches. Elle a rapidement cessé de bouger. Alors, l’homme s’est
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