Dernier acte à Palmyre
désert…
Oui, j’avais effectivement des préoccupations. Je pensais surtout à la mort. Et cette pensée me rendait intransigeant.
La perte d’une vie a toujours des conséquences incalculables. Tout comme les meurtriers, les politiciens et les généraux l’ignorent certainement. Sacrifier un soldat lors d’une bataille, ou noyer un auteur détesté et étrangler un témoin dangereux, affecte inévitablement beaucoup d’autres personnes. Heliodorus et Ione habitaient quelque part. La nouvelle de leur mort finirait par atteindre leurs parents et amis, apportant avec elle son lot de chagrins et de bouleversements, et causant une désolation permanente dans un certain nombre de vies.
Alors que je souhaitais de toutes mes forces réparer ces torts, j’entendis Helena dire à Congrio : — Si tu me laisses le message de Chremes pour Falco, je le lui transmettrai demain.
— Tu crois que demain, il sera capable de travailler ?
Congrio devait être la sorte de messager qui aimait rentrer en annonçant d’un ton dramatique : « C’est pas possible ! »
— N’aie aucune inquiétude à ce sujet, affirma Helena d’un ton ferme. Le travail sera fait.
Je la trouvais bien optimiste. Je serais probablement incapable de lire le moindre texte le lendemain, alors pour ce qui était d’écrire…
— Bon, on va donner Les Oiseaux, indiqua Congrio.
Je parvins à retenir le nom de la pièce, mais impossible de me rappeler si je l’avais lue et, si c’était le cas, ce que j’en pensais.
— Aristophane ?
— Si tu le dis… Moi, j’écris juste les affiches. Et j’aime les noms courts, ça use moins de craie. Si le nom que tu dis est celui du scribe qui a écrit cette pièce, j’ai pas l’intention de le mentionner, il est trop long.
— C’est une pièce grecque.
— C’est bien ça. Pleine d’oiseaux. Chremes dit qu’elle va remonter le moral à tout le monde. Ils s’habillent tous avec des plumes et sautillent en piaillant.
— Et ça va faire une différence ? s’étonna Helena d’un air candide.
Sa question m’amusa beaucoup, et même si Musa restait en dehors de cette conversation, je l’entendis étouffer un rire.
— J’en doute, répondit Congrio. Je me demande si je vais pouvoir dessiner des oiseaux sur les affiches. Des vautours, voilà ce que j’aimerais représenter.
Cette fois, Helena se dispensa de commentaire.
— Qu’est-ce que Chremes attend de nous ? Pas une traduction complète en latin, j’espère ?
— Ah ! j’ai réussi à te faire peur ! se réjouit Congrio.
Helena Justina apparaissait pourtant parfaitement calme – à part un léger frisson quand il avait parlé de dessiner des vautours.
— Chremes a dit qu’on allait donner la pièce en grec. D’après lui, tu la trouveras dans le coffre qu’il vous a remis. Il veut simplement que les blagues soient remises au goût du jour, si elles sont trop athéniennes.
— Oui, j’ai déjà vu la pièce dans le coffre. Il n’y aura aucun problème.
— Alors tu crois que ton homme va s’en sortir ?
— Mon homme arrive toujours à s’en sortir.
Comme toutes les filles ayant reçu une éducation morale sévère, Helena mentait à merveille. Et je trouvais par ailleurs sa loyauté impressionnante, même si elle s’était exprimée d’une voix un peu sèche.
— Congrio, que va-t-il se passer pour les costumes d’oiseaux ? demanda-t-elle encore.
— La même chose que d’habitude. Les comédiens vont les louer à Chremes. On a déjà donné cette pièce, mais il y a plusieurs années. Alors les gens qui savent tenir une aiguille vont devoir recoudre les plumes ! gouailla-t-il.
— Quel dommage ! s’exclama Helena. J’ai un panaris. Je ne vais malheureusement pas pouvoir vous aider.
— Tu es un sacré personnage !
— Je te remercie.
D’après le seul son de sa voix, je devinais qu’elle estimait avoir assez de renseignements sur le travail à accomplir. Et ce ne fut pas le seul signe que je reconnus. Elle se pencha pour jeter des brindilles sur le feu, puis arrangea ses cheveux sous l’un de ses peignes. Pour elle, même si elle en était probablement inconsciente, ces actions marquaient une pause.
Musa avait saisi lui aussi le changement d’atmosphère. Sa tête parut s’enfoncer davantage dans son turban, pour mieux laisser Helena Justina interroger le témoin.
— Depuis quand travailles-tu avec cette troupe, Congrio ?
— Je sais plus exactement… Plusieurs saisons en tout cas.
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