Des hommes illustres
approchait de Pâques et que les
confessionaux l’attendaient pour le grand nettoyage de printemps. Bien que se
décidant à la dernière minute, il lui concédait ce check-up annuel, mais,
semble-t-il, sans tourments métaphysiques apparents. Ce qui ne manquait pas de
nous inquiéter pour le salut de son âme. C’est cette pratique religieuse, à nos
yeux extrêmement flottante, qui nous l’avait fait classer, sinon parmi les
mécréants, du moins dans cette catégorie très dilettante de fidèles par
habitude ou obligation. On ne doutait pas que manquer la messe dominicale,
comme de croquer l’hostie ou de blasphémer (même si pour cela on ne savait trop
comment s’y prendre), c’était se mettre en état de péché mortel. Or lui jouait
avec le feu, arrivant bien après l’introït, le sermon déjà bien entamé
(toujours ennuyeux à ses dires, et pourtant le curé Bideau, du haut de la
chaire, présentait une vision terrifiante de l’enfer, martelant d’une voix
d’outre-tombe, les yeux exorbités, penché en avant, ce qui lui valait quelquefois
de se cogner les dents dans le micro : « Oh, le démon, oh, le vilain
démon », comme s’il l’apercevait dans le sage décolleté des femmes en
contrebas – mais une telle admonestation ôtait toute envie de faire le malin),
se tenant debout près de la porte, à côté du bénitier, s’appuyant parfois, sur
la fin, contre un pilier (l’église ne désemplissait pas à cette époque et il
n’était pas question de remonter l’allée centrale à la recherche d’une chaise
vide, surtout si vous étiez chaussé de souliers vernis craquants, à moins, bien
entendu, de souhaiter qu’on les remarquât), profitant du remue-ménage de la
communion et des allées et venues dans les collatéraux pour s’éclipser avant
tout le monde, le grincement de la porte couvert par l’orgue et cinq cents
poitrines entonnant à tue-tête : « Je suis chrétien, voilà ma gloire,
mon espérance et mon soutien ». Ce qui ramenait sa durée de participation
à l’office divin à un gros quart d’heure. On craignait que ce ne fût pas
suffisant.
A vrai dire, il n’était pas le seul à agir de la sorte.
C’était même la marque des hommes en général, dont un bon nombre, qui ne
souhaitaient pas rester debout bien qu’arrivant en retard, empruntaient des
chaises dans les cafés de la place qu’ils transportaient pour leur commodité dans
le fond de l’église. On assistait ainsi chaque dimanche à un curieux ballet
dans le bourg. Certains, prématurément éméchés, avaient du mal à franchir le
tambour de la porte latérale sans cogner leur chaise contre les panneaux de
menuiserie, perturbant le grand silence solennel de l’offertoire et s’attirant
les foudres de Bideau, dont le regard décollait du ciboire pour identifier le
coupable et le sermonner à la prochaine occasion. Mais ces remontrances
faisaient aussi partie du rituel. Preuve d’une appartenance au clan des hommes.
On doutait même de la virilité de ceux qui à la messe n’en perdaient pas une
miette. Installés dès le premier son de cloche au premier rang, missel ouvert
en main et cantiques en bouche – une présomption d’impuissance qui ne manquait
pas d’être injuste pour celui qui avait une tête de prédicateur mormon, une
seule femme et dix enfants.
La caste des dévots regroupait souvent d’anciens
séminaristes détournés du droit chemin par l’appel du sexe. On se souvenait
d’en avoir vu porter la soutane et se dérober peu avant l’ordination. Enrôlés
dès leur plus jeune âge dans la filière ecclésiastique (pour les plus pauvres,
c’était l’assurance de poursuivre des études, avec le prestige qui en
découlait), ils découvraient sur le tard qu’on ne leur avait pas tout dit. Ils
conservaient cependant leur foi première, poussant leurs enfants à reprendre la
voie abandonnée, lesquels attendaient moins longtemps que leur père avant de
virer définitivement agnostiques.
La Fête-Dieu était pour le grand Joseph l’occasion de
montrer ses talents d’organisateur et d’inventeur. La procession du saint
sacrement suivait un chemin semé de pétales de fleurs, remplacés le plus
souvent, pour cause de floraison tardive, par des copeaux de bois diversement
colorés qui déroulaient un long ruban aux motifs géométriques bariolés à
travers les rues de la paroisse et que Bideau, ostensoir en tête, était le
premier à fouler. Chaque quartier était
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