Des hommes illustres
immobiles. Ils
se posent où avions et bateaux les déposent. C’est ainsi que les immigrants
bretons investirent les abords de la gare Montparnasse. Notre guide, qui ne
faisait rien comme tout le monde, nous installa à l’opposé, du côté de la porte
Dorée, dans un hôtel dont les persiennes éclairées par les lampadaires de la
rue dessinaient sur le plafond de la chambre deux échelles lumineuses. Le
roulement incessant des voitures jusque tard dans la nuit rendait un peu le son
familier de l’océan. Et, pour que le dépaysement ne fût pas trop grand, il
pleuvait sur Paris. Ce qui ne faisait pas l’affaire des fauves du zoo de
Vincennes tout proche, par lequel nous entamâmes notre visite de la capitale.
Ce qui ne faisait pas la nôtre non plus, car du coup ils avaient déserté les
faux rochers de leur décor d’opérette africaine. Nous nous rattrapâmes avec les
ours blancs et les otaries, qui trouvaient bienvenue cette pluie d’août et
plongeaient dans leurs bassins douteux avec des grâces de sirènes. On
progressait lentement dans les allées, déchiffrant les pancartes des cages,
testant nos connaissances, heureux de vérifier que la grande perche à long cou
tacheté était bien une girafe. En dépit de notre allure réduite, il s’arrêtait
de temps en temps, nous laissant filer quelques pas. Nous retournant, nous
lisions une expression de souffrance sur son visage. On le voyait verser
plusieurs cachets de Véganine dans sa main et les avaler à sec, la tête
brutalement rejetée en arrière. Même les pitreries des petits singes qui en
trois cabrioles se juchaient sur le crâne de leurs mamans placides ne
parvenaient pas à le dérider. Le seul à lui arracher un rictus amusé fut un
gardien du parc affublé d’une casquette trop grande, qui demandait à un groupe
massé devant une cage de dégager la piste, et, après un silence :
« aux étoiles ». Puis, ravi de son effet, d’un geste théâtral il fit
claquer dans l’espace un fouet imaginaire de Monsieur Loyal.
Après cette introduction à la vie sauvage, nous étions prêts
à affronter la grand’ville. Des arrêts obligés, nous ne vîmes ni la tour Eiffel
– sinon sa silhouette de derrick trop poussé par-dessus les toits –, ni le
musée de cire, ni le Sacré-Cœur, pas non plus de détour par le Moulin Rouge, la
cour Carrée du Louvre ou les jardins du Luxembourg. On pouvait croire que son
programme épousait ses pensées : Notre-Dame, le palais de la Découverte,
les Invalides et, hors les murs, une visite au château de Fontainebleau que,
par la suite, il nous fut difficile de ne pas interpréter comme une cérémonie
des adieux.
Lancer la 403 dans le flot de la circulation parisienne, vu
son état, n’eût pas été raisonnable. Aussi c’est en se serrant autour de notre
grand homme que nous nous engouffrâmes dans le métro. Passé la cohue
intimidante devant les guichets, au moment de choisir notre direction, nous
eûmes la bonne surprise de nous retrouver en pays de connaissance : le
plan électrifié du métro – où des points lumineux de diverses couleurs selon
les lignes tracent à la demande l’itinéraire idéal entre deux stations – était
la réplique, en plus sophistiqué, de sa carte de Bretagne. Grâce à quoi nous
nous sentîmes un peu moins provinciaux, à notre insu Monsieur Jourdain de la
capitale, comme si le mode de transport parisien par excellence nous était déjà
acquis. On retrouvait bien là sa façon de nous baliser le chemin, de nous
préparer par une suite d’indices à d’autres mondes, comme ce magasin sur deux
niveaux, incongru dans une petite commune – cette incessante guerre de
mouvement qu’il menait contre la routine et l’incapacité de la plupart à
remettre en cause l’ordre des choses : il n’hésita pas par exemple à se
débarrasser de deux armoires anciennes peu pratiques pour installer dans le
couloir du premier étage un monumental meuble de rangement de sa conception, à
l’esthétique incertaine, mais répondant à tous les besoins, de la penderie au
coffre à linge, et équipé d’un système d’éclairage intérieur pour lequel
l’ouverture et la fermeture des portes faisaient office d’interrupteur. Mais
cette similitude entre les deux cartes avait de quoi le laisser songeur, qui en
même temps reconnaissait son esprit créatif et le flouait de son invention.
Tapotant les touches correspondant aux stations, essayant différentes formules,
il
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