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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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préparatifs, sans que d’ailleurs le rythme destructeur du travail et des épreuves subisse de modifications. Caricature de fête, réservée à quelques privilégiés… Mais tout, dans le camp de concentration, oscillait entre l’horreur et la caricature.
    — C’est ainsi qu’à Noël (1944), un immense sapin fut dressé au centre de la place d’appel, orné de guirlandes multicolores, non loin des gibets où furent pendus, en présence de tous les bagnards du camp, quelques fugitifs rattrapés après une brève escapade. Caricature de fête et caricature de justice.
    — Nous sûmes pourtant un jour qu’un orchestre avait été rassemblé ; son chef nous était bien connu : le bourreau officiel et officieux du camp, Karl. Quelque temps avant la séance récréative, j’avais eu l’occasion de le voir noyer un Häftling, avec un fort joli tour de main, fruit d’une longue habitude, en lui maintenant la tête dans un simple seau d’eau. Économie de moyens et de gestes, en somme, qui le prédestinait à ses nouvelles fonctions.
    — Invités à assister à une des deux séances, Gilbert et moi fûmes, un beau soir, mêlés à une assistance composée des personnages les plus en vue du camp : assistance où la densité au mètre carré de bandits était certainement, en soi, un record. Tous les kapos, les chefs de baraque, bref, tous les manieurs émérites de triques étaient au complet, rivalisant en matière de douteuse élégance. Nous étions installés dans la baraque 34 dont les occupants avaient été expulsés de longue date. Devant la scène, close de couvertures, dans la fosse d’orchestre improvisée, au milieu de sa Kapelle, trônait notre Karl. Le visage sec, un rictus en place de sourire, pour le moment il échangeait quelques plaisanteries avec ses amis. Une sorte de brouhaha rauque emplissait la salle ; on attendait la fine fleur de nos gardiens, commandant du camp, gradés S.S. divers qui firent bientôt leur entrée. Tout le monde se leva respectueusement. Puis se rassit, une fois installés les maîtres. La représentation pouvait commencer.
    — L’atmosphère était, on s’en doute, d’une qualité rare. Sans doute celle d’une salle de spectacle d’une quelconque garnison allemande ; mais en tout cas, il était inutile d’évoquer la célèbre représentation de « La Grande Illusion ». Il n’y avait ici, je le répète, en dehors de quelques déportés « politiques », que des « verts », c’est-à-dire des prisonniers de droit commun, et des S.S.
    — Un projecteur, emprunté à la voiture des pompiers, s’alluma et Karl se tourna vers son équipe et l’orchestre entama, à grands renforts de couacs divers, un air entraînant, sautillant qui devait être repris à plusieurs reprises durant la soirée, car le répertoire des musiciens était assez limité. Je ne quittais pas des yeux les mains de Karl, qui brassaient énergiquement la mesure, ces mains d’étrangleur, de noyeur…
    — Le rideau se leva sur un décor champêtre et les numéros se succédèrent alors pendant deux heures. Petites saynètes, numéros de chansonniers avec de longues tirades incompréhensibles pour nous mais qui soulevaient des rires, proférées sur des ritournelles vaguement accompagnées par la musique. J’ai gardé en mémoire plusieurs ballets espagnols, parfaits d’exécution, rythmés par la guitare, les castagnettes et les claquements de mains ; il faut dire que les Espagnols étaient nombreux parmi nous à occuper, du fait de leur ancienneté, des emplois protégés et qu’ils avaient longuement répété leurs numéros. Mais j’ai surtout été frappé par trois scènes.
    — L’une rassemblait sur le plateau une sorte de tribunal composé de quelques tueurs notoires, présidé par Lorenz, le sous-chef du camp, tribunal devant lequel comparaissait un personnage de nous bien connu, botté, coiffé d’une casquette de chauffeur, bien sanglé dans sa tenue recoupée. Et ce dialogue s’engagea :
    — « Lagerältester, cet homme refuse de travailler pour les Allemands. Il dit que cela lui déplaît de s’en occuper. »
    — « Quoi ? Est-ce possible ? Tu refuses de travailler pour les Allemands ? »
    — « Je refuse. »
    — « Cela te déplaît de travailler pour eux ? »
    — « Oui. »
    — « Quel est ton emploi ? »
    — « Krema-kapo. »
    — Ce fut du délire, un océan de rires, un enthousiasme indescriptible, dans

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