Des Jours sans Fin
passés, dès les premières heures, dans tous les blocks où se trouvaient des Français que nous connaissions en exposant tous les arguments connus sur la situation du moment : les Américains arrivent, les S.S. sont aux abois, certains se sont déjà enfuis, les policiers du camp n’ont plus d’autorité, il ne faut écouter que nos policiers à nous, dotés du brassard blanc. Le chef du camp entend nous entraîner dans l’usine souterraine, nous devons l’empêcher de réaliser son plan. Pour cela nous aurons l’aide extérieure de militaires regroupés par Joseph Poltrum. Si le rassemblement se fait comme à l’habitude, le Lagerführer se croira encore capable de réaliser l’extermination ; il doit être convaincu par notre attitude qu’il n’a plus la situation en main.
— Ces multiples discussions n’ont pas été inutiles puisque le rassemblement a été très lent… et il s’est passé ce qu’on n’avait jamais imaginé possible dans un camp de la mort : le Lagerführer demandant leur avis aux détenus : « Voulez-vous ou non aller à l’abri dans l’usine ? » Et la masse des survivants criant son opposition. Et les dernières menaces des S.S. pour tenter de sauver la face, et surtout pour pouvoir s’enfuir, et préparer leur défense ultérieure.
— 6 mai ci . Pratiquement le camp se trouvait libéré depuis la veille. La résistance clandestine et le refus collectif de partir dans un tunnel avaient empêché les S.S. d’accomplir leur plan d’extermination, visant à nous ensevelir tous au sein de la montagne. Ils avaient fui, laissant seulement en place, pour la garde des miradors, de vieux soldats de la Wehrmacht dont nous savions qu’ils ne tireraient plus…
— Midi. Rassemblés dans le block 19, les membres du Comité national français tiennent leur première réunion d’hommes libres. Elle sera courte. À peine le temps pour moi de présenter les membres qui composent le comité.
— La parole à André Ulmann (Pichon) pour donner lecture d’un projet de manifeste… Et là-bas, vers l’Appelplatz, une rumeur qui grandit et semble monter jusqu’au ciel.
— « Ils arrivent… Ils arrivent…» viennent nous dire des gars tout essoufflés.
— « Qui ils ? »
— « Les Américains. On a vu deux chenillettes qui montaient la côte… Les sentinelles foutent le camp, comme des rats…»
— Depuis le matin, nous avions donné le mot d’ordre : dès l’approche des premières voitures, rassemblement des Français devant le block 19. Et voilà maintenant nos Français qui viennent de partout. Ceux qui peuvent encore courir et ceux qui se traînent… Les impatients qui veulent partir tout de suite et les malades qui s’arrachent des lits en criant : « Attendez-nous. »Au moins cinq cents pauvres types, la plupart déguenillés et tous faméliques, à se bousculer et à s’interpeller… Certains qui rient, d’autres qui pleurent…
— Ulmann et Simon crient :
— « Les officiers ! Où sont les officiers ? »
— Quatre hommes sortent des rangs.
— « Vous qui avez l’habitude, faites mettre par cinq. »
— « Par cinq, dit-on autour de nous, c’est la formation allemande. »
— « Alors par quatre. »
— J’entends la voix de Àné qui, déjà, s’éloigne vers l’arrière.
— « Allons, vite, vite… Alignez-vous. Couvrez. »
— Et voici le miracle. Plus personne ne parle. En un instant, les hommes se reculent, s’alignent, étendent le bras pour prendre la distance…
— Derrière nous, la colonne s’allonge jusqu’au Revier. L’officier de tête s’approche, fait le salut militaire.
— « Tout est en ordre. On y va ? »
— Mais dix voix s’écrient en même temps :
— « Le père Henri ! Nom de Dieu où est passé le père Henri ? »
— Quelques minutes avant, le père Henri m’avait dit :
— « Tu as pensé au drapeau ? »
— « Quel drapeau ? »
— « Le nôtre, pardi. J’ai pu en peindre un sur une vieille toile. »
— « Magnifique. Où est-il ? »
— « Camouflé depuis trois jours, sous le plancher du block. »
— « Vite, cours le chercher…»
— Et voilà le « père Henri » qui ne revenait pas. Enfin le voici qui sort du block 20, tenant roulé sur un bâton, un morceau d’étoffe dont l’extrémité semble teintée de sang.
— « Devant nous, père Henri. Devant. À trois pas. »
— Lentement,
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