Des Jours sans Fin
l’Obermeister et aussi des primes de valeur. La trempe se fit devant lui et, dès qu’il fut parti, je recuisis le mâle qui se mata très vite à l’usage et fit éclater l’outil femelle. Nous étions en mai ; jusqu’à fin décembre 1944, j’affirme que tous les outils à découper fabriqués ont subi la même opération et n’ont pu jouer leur rôle. Foletti et l’ingénieur n’ont jamais compris pourquoi… et pour cause. Qu’on m’excuse de citer un peu longuement cet épisode ; il est une mise au point pour certains. Bref, pour ce joli travail, je touchais deux fois, tous les trois jours, un casse-croûte de pain blanc avec saucisson et margarine, et quarante à cinquante cigarettes par semaine. Le tout a toujours été remis à Valley qui répartissait sur l’ensemble.
— La li plupart d’entre nous, à des degrés divers, nous sabotions la production. Ce n’était pas toujours facile, il fallait rechercher les formes les meilleures afin de ne pas être découverts trop vite et aussi pour éviter les représailles. Cependant, deux fois, je n’ai pu échapper à celles-ci… La première, j’avais toute une série de pièces inutilisables ; le Meister s’est mis dans une rage folle, m’a bombardé avec et a appelé les S.S. J’ai été emmené pour une série de coups de schlague, vingt, trente, je ne me souviens plus… Cette opération se passait dans une petite pièce meublée d’une table longue, il fallait poser le torse nu sur la table, les bras allongés, la face sur la table. Chaque coup était asséné avec violence, chaque fois le S.S. poussait une sorte de rugissement dans l’effort. Chaque coup me faisait redresser de douleur mais il fallait immédiatement se poser de nouveau sur la table, sinon un coup supplémentaire sur le haut du dos ou à la nuque vous l’imposait.
— Cette fois, cependant, les chefs découvrirent que le moule sur lequel je formais mes pièces était mauvais et n’était pas aux cotes demandées. J’étais donc censé ne pas savoir. Une autre fois, le motif m’échappe, c’est par le kapo que j’ai été schlagué sur le marbre au milieu de l’atelier. Dans cette usine nous faisions équipe, une semaine du matin, une semaine du soir. Au bout d’un certain temps, je n’avais plus de force, j’avais beaucoup de mal à soulever mon marteau – nous ne faisions que de la forge à la main – alors je n’avais plus besoin de me forcer pour saboter la production et le travail. Une nouvelle fois, le même Meister m’a envoyé aux S.S. pour une nouvelle séance de schlague et jamais je ne suis retourné à la forge.
— Pendant les heures de repos, peu nombreuses, les Français se rassemblaient en cercle ou sur des châlits et composaient des recettes de cuisine. C’était évidemment sans danger mais l’estomac commandait et l’imagination donnait l’eau à la bouche et les menus, ainsi composés, faisaient oublier des choses plus sérieuses et les hommes qui succombaient à la faim manquaient très vite de ressort. Alors, organiser la solidarité fut une question de première urgence. Un certain nombre parmi nous avaient été en prison ensemble, avant la déportation ; l’organisation politique était donc plus ou moins rodée ; il nous fallait surtout l’adapter à des conditions nouvelles et naturellement travailler au maintien du moral était une tâche urgente.
— La solidarité au camp central de Mauthausen était pourtant moins difficile qu’en kommando parce qu’il y avait plus de camarades qui avaient des « postes » puisque toute l’administration intérieure était faite par des détenus qui, parfois, bénéficiaient de légers privilèges ; alors cela donnait des ressources. Mais en kommando, alors que nous travaillions tous à l’usine, à la terrasse ou à tout autre emploi de ce genre, c’était plus compliqué.
— Les Français, nous avions créé le « Front National » et mis debout un organisme de solidarité. La solidarité alimentaire était l’essentiel, alors que tous les hommes organisés qui, d’une façon ou d’une autre, obtenaient quelques avantages versaient au fonds de solidarité, lequel, après, redistribuait en suivant un état nominal afin que personne ne soit oublié. Tout cela, bien sûr, ne représentait pas grand-chose mais il y avait des situations bien plus difficiles : c’est ainsi que j’ai eu à participer à la solidarité particulière pour un camarade très mal
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