Des Jours sans Fin
dans un vestibule au fond duquel s’ouvre le « Waschraum » (lavabo). À droite, les w.-c. modernes, à siège et chasse d’eau. Pas de séparation entre les sièges, mais nous avons dépassé le stade où la promiscuité nous gênait en l’occurrence. À gauche, l’entrée du « Speiseraum » (réfectoire). Table, tabourets, placards sont à notre disposition. Il n’y en aura pas pour tout le monde, mais en se mettant en huit, on arrive à obtenir un placard. Nous n’avons d’ailleurs rien à mettre dedans, car toute notre fortune est sur nous, c’est-à-dire rien.
— Le block 4 où je suis affecté avec Vidal a un effectif de cent cinquante hommes. Deux Français seulement nous y ont précédés, les deux seuls Français du camp avant notre arrivée. Imaginez leur joie et leur empressement à nous demander des nouvelles de France ; nous sommes dans l’obligation de les décevoir en leur déclarant qu’étant arrêtés depuis plus de six mois, nous n’en savons pas plus qu’eux-mêmes, peut-être moins. Ils nous adoptent et nous conseillent pour notre installation. L’un d’eux, Juin, occupe la place enviée de coiffeur du block. Il est vrai qu’il a près de cinquante ans. Nous obtenons chacun un lit. Les couchettes sont à deux étages. Je choisis, étant plus jeune, le lit de dessus, pendant que Vidal prend celui de dessous. Cela me paraît merveilleux de pouvoir coucher seul dans un lit, le soir, et j’en rêve par avance malgré que le sommier soit fait de planches et que la paillasse soit douteuse. Cette première nuit fut une des meilleures de toute mon aventure.
— La matinée du lendemain fut employée à divers exercices dans la cour du camp. Sous le commandement des chefs de block, on nous fait marcher au pas en colonne, par cinq bien entendu. On nous apprend à courir par rang et par file. Cela m’amuse un peu de me retrouver après dix ans de service dans l’armée française, incorporé tel un jeune soldat dans un aussi bizarre bataillon à l’uniforme infamant pour tout autre que nous. On nous apprend aussi ce geste que nous aurons à répéter des milliers de fois « Mützen ab » (se décoiffer) et « Mützen auf » (se recoiffer). Ces deux mouvements doivent évidemment s’exécuter avec le maximum d’énergie, la main droite devant frapper sur la cuisse après avoir placé le bonnet rayé sur le crâne tondu. C’est charmant !
— Ce fut dans la soirée de ce jour que se décida mon avenir industriel en Allemagne. Juin, le coiffeur, à qui je faisais part de mes appréhensions concernant les capacités de travail, me déclara tout net : « Ici, mon vieux, il y a deux sortes de travaux ; les terrassements et l’usine. Jusqu’à maintenant, les kommandos d’usines sont les moins durs, je te conseille de décliner une profession d’après laquelle on t’y affectera ! »
— Je n’avais jamais mis les pieds dans une usine métallurgique, et jamais je n’avais vu d’autres machines que la machine à coudre de ma femme. Aussi, lorsque le lendemain, je me déclarai ajusteur et fus immédiatement conduit devant un étau limeur, ce ne fut pas sans une sensation pénible que je réfléchis aux conséquences que pouvait avoir ma déclaration. Mais bah ! l’expérience m’avait déjà démontré que la fortune sourit aux audacieux et, avec mille précautions, je me mis en devoir de faire connaissance avec cet engin d’acier dont j’allais avoir la charge.
— Il y avait quatre machines semblables dans le coin. Deux marchaient, conduites l’une par un Russe, l’autre par un Polonais. Je surveillai le travail des deux camarades regardant très attentivement où se portaient leurs gestes et notant leur correspondance sur la conduite de la machine : arrêt, départ, vitesse, réglage de l’outil, etc.
— Quelques minutes plus tard, je sais déjà mettre en marche et arrêter l’étau-limeur et il me faudra à peine quelques jours pour posséder à fond le fonctionnement de l’engin. Évidemment, cela n’alla pas sans quelques pièces grossièrement loupées que je pus néanmoins dissimuler dans les grands bacs à ferraille. Je m’arrangeai dans les premiers jours pour n’avoir à réaliser que des pièces sans difficultés majeures et j’acquis ainsi, assez rapidement, une certaine maîtrise.
— Peu à peu, ma documentation et mon expérience augmentant, il me fut possible de mener à bien la réalisation de pièces plus délicates et
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