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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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comme des lâches, n’hésitant pas à « vider » un malade avec 40° de fièvre pour peu qu’un chef de block le leur demandât liii . Pour ma part, sachant comment les choses se passaient au Revier, j’eusse mieux aimé mourir que de m’adresser à ces médecins renégats à leur foi et à leur serment.
    — Ces plaies dont nous souffrions tous affectaient une évolution particulière. Le pus dont elles étaient emplies se coagulait très vite et formait une croûte dure sous laquelle la suppuration continuait. Il arrivait un moment où la pression du pus devenait douloureuse. On arrachait alors la croûte et on se sentait soulagé pour deux ou trois jours. Il vint un jour où mes pieds ne furent plus qu’une seule plaie et l’odeur qui se dégageait de tout ce pus était infecte. Comme il n’était pas un homme qui ne souffrît des mêmes tourments, je laisse à supposer ce qu’était l’atmosphère de la chambre.
    — Pendant cinq mois, je marcherai ainsi avec mes pieds en cet état, je marcherai dans la boue, dans la poussière, dans les flaques d’eau croupie, dans le crottin de cheval – et je n’en mourrai pas ! Un jour d’octobre, une petite plaie sécha, puis une autre. Trois mois après, il ne me restera que des cicatrices. Comment s’opéra cette guérison que je qualifierai toujours de miraculeuse ? Je n’en ai jamais rien su et n’en saurai vraisemblablement jamais rien. Je crois qu’il est des moments où l’organisme a des sursauts de révolte devant trop de misère. L’admirable machine qu’est le corps humain réagit et puise dans l’immense inconnu de sa substance même des palliatifs ignorés.
    — Cependant, la vie monotone du travail continuait. Levés à 4 h 30, nous faisions une rapide toilette aux lavabos. Là, comme partout ailleurs, les plus forts prenaient d’assaut les quelques robinets et les monopolisaient. Les autres, les malades, les affaiblis, les timides, se contentaient de quelques gouttes d’eau, ou se lavaient même dans l’eau de toilette des premiers. Beaucoup ne venaient même pas. Car, c’est là que la machiavélique intention des Boches a atteint son résultat le plus probant. Nous en étions arrivés, dès ce mois de juillet 1944, à former une vraie jungle. La communauté de souffrance qui aurait dû être pour nous un lien sacré, n’existait pas. L’antagonisme des races seul jouait. Nous étions à peine trois cents Français sur les six mille détenus du camp. Le reste était composé de quatre mille Russes environ, un millier de Polonais, enfin un nombre moins important de Tchèques, Allemands, Italiens, Espagnols, Yougoslaves, Danois, Belges, Hollandais, etc.
    — Les Russes faisaient la loi, et quelle loi ! Il s’agissait presque uniquement de ressortissants ukrainiens amenés en Allemagne lors de l’occupation de leur pays. Leur retard effroyable sur la civilisation les avait rendus inutilisables pour la main-d’œuvre libre. Beaucoup s’étaient mal conduits, avaient pillé, volé, violé et les Boches s’en étaient débarrassés en les envoyant dans les camps de la mort. Des dizaines de milliers de ces êtres qui en étaient au même point d’évolution que nos serfs du Moyen Âge, sont morts d’épuisement ou de toute autre façon jusqu’à la Libération.
    — Il est bien entendu que la loi dont je parle ici est celle qui existait entre les simples détenus, les « obscurs, les sans-grade », les chefs de block et leur cour respective, planaient au-dessus de cette tourbe qui respectait leur musculature conservée, si elle ne les respectait pas eux-mêmes et sur laquelle ils avaient, tout comme les S.S., droit absolu de vie et de mort. Je crois nécessaire d’ouvrir ici une parenthèse pour expliquer comment les chefs de block parvenaient à mener une vie normale et presque heureuse au milieu de cette cour des miracles qu’était le camp. D’abord, les chefs de block ne travaillaient pas. Ensuite, ils avaient un entourage entièrement dévoué, qui allait depuis l’homme de main jusqu’au « mignon », une bonne douzaine de déportés gravitaient ainsi autour de chaque chef de block et chacun de ces serviteurs avait une occupation distincte : Stubedienst (garçon de chambre), Kosträger (porteur de soupe), etc. Toute cette troupe, aux ordres du chef, bénéficiait bien entendu d’avantages alimentaires, mais comme la cuisine, dirigée par un S.S., donnait le nombre juste de rations pour l’ensemble

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