Des Jours sans Fin
suffisait d’encadrer d’un gros trait de crayon bleu le triangle rouge en laissant un intervalle en blanc. Le port des trois couleurs était trouvé. Cette proposition propagée parmi nos compatriotes fut accueillie avec enthousiasme et acceptée dans une unanimité totale puisque nous n’enregistrions qu’une ou deux abstentions.
— Le 13 juillet, ce fut dans les blocks un beau spectacle, un zèle inaccoutumé. Tous les Français lavaient ou recousaient des matricules propres. Puis l’attente patiente de chacun après les deux malheureux bouts de crayon bleu que nous possédions, afin de faire l’encadrement prévu qui formerait les trois couleurs.
— Le matin du 14, à partir de 4 heures, ce fut une floraison tricolore, quatre-vingt-dix-neuf pour cent des Français arboraient fièrement leur drapeau, bien petit hélas ! La chiourme hitlérienne ne s’en aperçut pas ou ne voulut pas s’en apercevoir, mais notre geste fut remarqué avec sympathie par de nombreux camarades étrangers, notamment les Italiens et les Soviétiques.
— Le midi, à la fabrique, tout en mangeant notre maigre pitance, tous les Français se trouvèrent réunis comme par hasard. Ensuite, un camarade désigné pour chaque petit groupe, par mesure de sécurité, fit l’historique de cette journée, retraçant les 14 juillet de lutte du peuple français. Et ce jour-là, plus que tout autre, les machines tournèrent à vide ! Une minute de silence fut observée à la mémoire de nos morts, dans chaque équipe.
— Le lendemain soir, tous les Français présents au camp avaient répondu au mot d’ordre chuchoté et plus de deux cents de nos compatriotes se trouvèrent réunis derrière l’une des nombreuses baraques de Linz III.
— Un folklore fut organisé, les refrains repris en chœur par tous nos camarades. Parisiens et Bourguignons rivalisaient de variétés. Puis une minute de silence à la mémoire de tous ceux qui étaient tombés et mouraient encore pour que vive la France, fut à nouveau observée.
— Enfin, le Chant du Départ avec ses strophes vengeresses retentit soudain, s’enfla et ne s’atténua qu’après la dispersion normale et prévue par notre Front National clandestin. Ce soir-là, chacun de nous en s’allongeant sur son grabat, pensa : « Ils » auront beau faire, rien, ni les coups, ni les souffrances endurées n’entameront notre moral. La bête nazie sera abattue : bientôt nous reverrons la France lv .
— Le lvi 25 de ce mois de juillet commença pour nous une épreuve supplémentaire. J’étais de l’équipe de nuit. Nous étions rentrés au camp le matin vers 6 h 30. L’appel et la toilette nous avaient amenés à 8 heures et nous nous étions couchés. Vers 10 h 30, nous sommes réveillés par des hurlements et nous entendons aussitôt les sirènes des usines dont le hurlement rapide et saccadé signale l’alerte aux avions. Souvent, jusque-là, nous avions eu des alertes et c’est sans trop nous presser que nous nous rassemblons au-dehors.
— Nous nous trouvons environ mille deux cents déportés (toutes les équipes de nuit) en colonne de cinq, et, à notre grand étonnement, nous prenons le chemin de la sortie du camp. Notre encadrement de S.S. (environ un S.S. pour dix hommes) nous reçoit et nous sommes amenés sous un grand pont de chemin de fer, à 300 mètres environ du camp.
— À peine arrivés, et nous sommes-nous serrés sur la droite, que nous entendons un énorme grondement accompagné de sifflements. Des détonations lointaines, puis très proches, se font entendre… La D.C.A. Une pièce est installée au coin du pont sous lequel nous nous trouvons, la première vague d’avions alliés passe en trombe au-dessus de nous. Une bombe pulvérise une bâtisse et des blocs de pierre viennent frapper dans la tête de notre colonne. Des cris s’élèvent. Les S.S. nous abandonnent. Des « sauve qui peut » retentissent un peu partout. Je suis pris dans la bousculade irrésistible qui me pousse vers la sortie du pont. Je me rends très bien compte du danger qu’il y a à abandonner en plein bombardement notre abri sommaire, mais je ne peux rien dans cette masse compacte de plus de mille hommes ayant perdu toute notion et dominée seulement par une peur panique. Pour ne pas être renversé et piétiné, je cours avec tous mes camarades vers la sortie du pont. Je débouche à peine que la deuxième vague amorce sa descente. J’entends de nouveau le
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