Des Jours sans Fin
du block, nous faisions en définitive les frais de l’appétit de ces individus.
— Voici d’ailleurs comment s’opérait la répartition de la soupe : supposons un block de cinq cents hommes. La cuisine donnait un litre par homme, soit dix bidons de 50 litres chacun. Les dix bidons, portés par les « Kosträgers » (toujours les mêmes) arrivaient au block. Ils étaient ouverts, explorés à la louche et le meilleur des dix prenait immédiatement le chemin de la chambre du chef de block. Celui-ci faisait ensuite la répartition de ces 50 litres de soupe entre ses favoris du block, bien entendu après que son « Stubedienst » particulier avait extrait deux ou trois gamelles des rares pâtes, pommes de terre ou autres ingrédients solides et consistants qui constituaient la base de la soupe. Un deuxième bidon de 50 litres était réparti entre la vingtaine d’employés du block. Il restait donc 400 litres de soupe pour l’effectif restant, ce qui ramenait la ration individuelle à trois quarts de litre. Le soir, la même opération se reproduisait avec la variante suivante : lorsque le menu se composait de pain et saucisson rouge ou margarine, le chef de block se réservait un saucisson entier ou deux cubes de margarine. Il arrivait souvent qu’il nous échange notre portion de saucisson ou de margarine contre une gamelle de soupe de midi. De cette façon, il arrivait à constituer des réserves imposantes de denrées. D’autre part, grâce aux accointances que chaque chef de block possédait aux cuisines, cette catégorie privilégiée de détenus obtenait du sucre, du pain S.S. et bien d’autres aliments.
— Et, comble de l’infortune, nous assistions à la préparation des repas du chef de block par son Stubedienst privé qui venait faire sa cuisine sur le poêle de notre chambre. Nous voyions des poêlées de frites, des douzaines de tranches de saucisson revenues dans la margarine, des gamelles de pommes de terre ou de pâtes alimentaires sautées. Notre estomac torturé garni d’une gamelle de soupe claire, ou de notre maigre ration de pain, était obligé de humer le fumet résultant de la préparation de ces agapes. C’était là un de nos supplices les plus terribles. Nous arrivâmes ainsi au mois de juillet.
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— Nous liv étions une trentaine de camarades venant de subir dans les bagnes de Vichy de longs mois d’emprisonnement, connaissant parfaitement les méthodes de combat à utiliser. Un certain nombre de Français parmi les meilleurs résistants, s’étaient joints rapidement à notre petit groupe où l’entraide régnait, permettant d’offrir une moins grande prise à la vie infernale du camp. Notre petite organisation pouvait, grâce à certains contacts établis avec l’extérieur, après de nombreuses difficultés, bénéficier de journaux, comptes rendus de radio retransmis au nez et à la barbe des S.S. et de leurs suppôts. Cela donnait la possibilité de tenir tous nos compatriotes, sans exception, au courant de la situation et nous permettait au travers de ces discussions, de maintenir le moral des Français en commentant les dernières nouvelles.
— À l’approche du 14 juillet 1944, notre Comité clandestin avait envisagé d’organiser une manifestation parmi nos compatriotes malgré les conditions dans lesquelles nous nous trouvions et nos regrettés disparus Bassard, Beaucourt, Leloir et tant d’autres, prirent une part active à sa réalisation. Nous ne voulions pas laisser passer ce jour, pour nous si riche de traditions, de liberté et d’indépendance, sans le marquer d’une façon toute particulière, par une manifestation patriotique.
— Les modalités de celle-ci furent soigneusement examinées par le Comité clandestin français. Une distribution de quelques cigarettes collectées dans le camp devait être faite à tous les Français qui n’avaient pu en obtenir. Puis, au cours de cette journée, on devait porter les trois couleurs, faire l’historique du 14 juillet, observer une minute de silence à la mémoire des morts tombés pour l’indépendance de la France et clore ces diverses actions par des chants de chez nous.
— Le port des trois couleurs ne s’annonçait pas aisé, mais la difficulté fut rapidement tournée, les moyens nous étant fournis par les S.S. bien malgré eux. La bande d’étoffe portant notre numéro matricule et le triangle rouge des déportés politiques nous offraient cette possibilité. Il
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