Des Jours sans Fin
inconfort.
— Le bombardement du 25 juillet avait complètement anéanti l’adduction d’eau. Les conditions d’hygiène devinrent épouvantables. Jusqu’alors, on nous avait changé chemises et caleçons d’une façon irrégulière, il est vrai, mais nous n’avions jamais passé plus d’un mois avec le même linge. Le 25 juillet marqua la fin de ces échanges et, jusqu’à la Libération, je gardai les mêmes vêtements. C’est dire dans quel état ils se trouvaient à la fin. De temps à autre, au moins une fois par semaine quand nous étions de nuit, je réussis à me débrouiller dans le bac de refroidissement de la forge à l’usine. L’eau était croupie et puante, mais c’était de l’eau, et j’avais tout de même l’impression d’être mieux, une fois cette répugnante toilette terminée.
— Dans ces conditions, les poux ne tardèrent pas à faire leur apparition chez les déportés qui, par lassitude ou fatigue, ne prenaient plus aucun soin élémentaire. Les parasites se propagèrent avec une rapidité effroyable. Je me défendis longtemps avec acharnement contre leur invasion, jusqu’au jour où, me rendant compte de la vanité de mes efforts, je fis comme tout le monde, c’est-à-dire je tâchai de m’arranger pour continuer à vivre avec quelques centaines de poux proliférant sur moi et vivant sur mon corps. C’était terrible ! J’avais réussi à raser entièrement tout mon système pileux, éliminant ainsi la meilleure base de fixation des lentes, mais rien n’y faisait. J’en avais peut-être un peu moins que les autres puisque je ne les comptais que par centaines, mais c’était beaucoup trop à mon gré. Le supplice des poux commença en septembre 44 et devint, tout de suite, intolérable. Les Boches avaient essayé de nous aider à les combattre en nous distribuant des sachets de poudre spéciale, la « Russia pulver ». Ce remède s’avérant inopérant, ils firent apposer dans les chambres une affiche représentant un pou énorme sur l’abdomen duquel le mot « typhus » éclatait en rouge. Autour de l’insecte, une inscription : « Eine laus dein tot ! » (un pou, c’est ta mort !). Cela, nous nous en doutions un peu, mais comment faire pour éviter ce typhus dont les premiers cas se déclarèrent en décembre 44 ?
— En rentrant du travail, je passais, malgré l’écrasante fatigue, parfois une heure, parfois deux à explorer mes loques. J’arrivais ainsi à exterminer à chaque séance deux cents à trois cents parasites, mais les grappes de lentes qui tapissaient les moindres coins des vêtements arrivaient vite à éclore et, le lendemain, tout était à recommencer. Parmi les moyens de lutte les plus ingénieux que nous avions découverts, il y avait celui qui consistait à passer chemise et caleçon sur le tuyau du poêle lorsque celui-ci était allumé. Il fallait faire vite pour ne pas brûler l’étoffe. D’autres fois, à l’usine, pendant la pause de minuit, j’ôtais ma chemise et allais l’exposer aussi près que possible de la forge rougeoyante. Je me réjouissais alors en écoutant les crépitements provoqués par l’explosion des poux et des lentes. Il se dégageait de toutes ces opérations une odeur rien moins qu’agréable. À deux ou trois reprises seulement je réussis à plonger mes effets dans un seau d’eau bouillante, seul remède vraiment efficace et qui offrait l’inconvénient de m’obliger à vivre presque nu pendant le temps que séchaient ma chemise et mon caleçon, ce qui n’allait pas sans mal.
— Les initiatives isolées pour lutter contre les parasites étaient contrecarrées et même annihilées par le fait qu’elles étaient rares. En effet, en ce qui me concerne, les rares fois où, tout heureux, je ne sentais ni piqûre ni grouillement suspect sur moi, dès que j’étais allongé sur ma couche avec mon camarade de misère, un jeune qui, lui, se laissait aller et qui ne devait, hélas ! pas arriver à la Libération, ses parasites à lui, sentant sans doute un coin moins encombré, changeaient de propriétaire, si bien que je me retrouvais au réveil avec ma garniture d’insectes exactement comme si je n’avais rien fait.
— Il y avait de quoi se décourager et finalement je fus dans l’obligation d’accepter la chose. Je m’en remis aux mains du hasard et comptai un peu sur la protection des divers vaccins reçus au cours de ma carrière militaire. Le fait est que, malgré les
Weitere Kostenlose Bücher