Des Jours sans Fin
nerfs sont tendus à un point tel que j’ai l’impression de vibrer tout entier. Je m’effondre sur un groupe de camarades allongés sous les premiers taillis. À ce même moment, une bombe éclate à 10 mètres derrière nous dans le champ marécageux, une gerbe de boue nous recouvre aussitôt et nous avons toutes les peines du monde à nous dégager. Six autres vagues d’avions vont encore passer mais leurs projectiles vont tomber plus loin, sur le groupe des usines. Nous nous réjouissons dans l’ensemble du résultat et, du moment que les bombes ne sont plus dangereuses pour nous, nous sommes debout, enregistrant les coups au but. Les colonnes de fumée qui s’élèvent des usines sont, pour nous, un baume apaisant à notre terrible peur. Quelques camarades non encore remis de leur frayeur doivent être ramenés à la raison. Tous les moyens sont employés pour les calmer, de la persuasion aux coups car certains, complètement égarés, continuent à se terrer en tremblant et ne veulent pour rien au monde se remettre debout.
— On lx nous avait tassés dans des abris solides comme des coques de noix. Ceux qui en sortirent eurent une vision d’apocalypse : des abris soufflés avaient écrasé ou mutilé nos malheureux camarades ; l’atelier avait un pan de mur par terre et quelques autres dégâts ; un entrepôt de vernis et d’essence situé au ras des abris disloqués était en flammes et risquait d’exploser. Mimile vit de suite le danger que nous courions et s’élança dans cette fournaise. Il réussit à rouler les fûts dangereux, mais en sortit en piteux état : sa tête était boursouflée par les brûlures, ses mains n’avaient plus de peau. Il eut droit aux félicitations des autorités et aux soins gratuits : une couche de pommade jaunâtre et… un billet de retour à Mauthausen. À notre entrée au camp, nouvelle découverte : le joli pavillon neuf du commandant n’était qu’un amas de décombres, le camp lui-même était sens dessus dessous. Là aussi, beaucoup de morts ; nous avions perdu près de deux cents camarades.
— Les lxi Français se rassemblent. Personne ne manque de notre collectif ? On ne sait encore. Dans la portion écrasée de notre abri, ces camarades sont enterrés. Sont-ils blessés, morts ? Immédiatement, nous constituons une équipe, afin de secourir rapidement nos camarades de toutes nationalités encore sous les décombres.
— À la tête de cette équipe se répartissent les tâches les plus difficiles nos amis Valley, Bassard, Beaucourt. Nous regroupons nos compatriotes. D’autres camarades se joignent à nous au fur et à mesure qu’ils se retrouvent eux-mêmes libres. Le boulanger, Pupovack, Beau-repaire, Leloir, K. Vasseur, Serres, Vantenkist, le petit Zolotar (surnommé Tarzan), Le Cornée et combien d’autres encore font courageusement leur devoir au risque de leur vie. Fiévreusement nous déblayons, luttant presque sans outils contre la matière. Appels et gémissements des blessés nous parviennent des décombres. Nous redoublons d’efforts. Soudain, nouvelle alerte. Nous devons nous éloigner dans les bois environnants. Là, nous apprenons que le bombardement a fait plus de trois cents victimes parmi nous, les plus nombreuses au petit camp I, complètement écrasé. Cette nouvelle alerte passée, nous revenons à l’abri où sont encore ensevelis de nombreux déportés. Les travaux de sauvetage menés par les seuls Français se poursuivent avec acharnement sous les yeux des S.S.
— Dans le ciment fracassé, retenant de gros blocs, l’armature de fer s’oppose à notre action. Il faut scier. Nous perdons de précieuses minutes. Pourtant, nos efforts ne sont pas vains. Nous sortons un Italien, il est blessé ; un Russe, il est mort ; un autre, sans connaissance mais vivant. Puis un Français nous hèle au travers des ruines ; c’est notre camarade Mijoin. Sain et sauf, il est coincé sous les décombres. Nous parvenons à le sortir de sa fâcheuse position. Il est sauvé.
— Nos amis, enfin aidés des pompiers de Mauthausen arrivés entre-temps, arrachent ainsi un à un tous ceux qui peuvent être secourus. Le vivant exemple de dévouement et d’abnégation de nos camarades est souligné, en ces termes, par un S.S. allemand, rapporté et propagé dans tout le camp par un Schreiber francophobe : « Nous pouvons tirer notre chapeau devant les Français ! »
— Quelques heures plus tard, nous rentrons au camp,
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