Des Jours sans Fin
par la FRATERNITÉ.
VII
LA NUIT DU 17 FÉVRIER
Dans le bureau de la section politique, Hans Kanthak classe ses dossiers. Au téléphone, l’Obersturmführer Schulz s’époumonne. L’affaire doit être sérieuse. Il quitte le téléphone, ouvre un registre, reprend le combiné :
— Ce n’est pas possible !
Silence. À nouveau cinq ou six « ce n’est pas possible » et avant de raccrocher :
— Cela ne peut pas marcher, je ne puis quand même pas faire mourir trois mille personnes lxxxiii .
Et pourtant : cela fut presque « possible ».
Le lendemain de cet échange téléphonique, le 13 février 1945, dans la banlieue de Berlin, les S.S. du camp d’Oranienburg se préparaient à expédier sur Mauthausen le « trop plein » qui ne pourrait participer à une évacuation à pied, tout en sachant parfaitement que Mauthausen, saturé, ne pouvait accueillir un seul pensionnaire supplémentaire. Mais Oranienburg, siège de l’Inspection et de la Direction des camps, « commandait ». Ceux de Mauthausen – les planqués – n’avaient qu’à se débrouiller.
— Il lxxxiv neigeait. On rassembla environ deux mille cinq cents hommes. Ils venaient de différents camps évacués. Ces hommes partirent à pied, en une longue colonne de cinq hommes de front, au pas cadencé. Ils allèrent jusqu’au quai d’embarquement de la gare d’Oranienburg. On les disposa le long du quai par groupes de cent dix, devant chacun des wagons à bestiaux qui formaient le train. Le groupe des Français dont faisaient partie le colonel de Dionne et l’abbé Vallée entra dans le même wagon. Il pouvait être 9 ou 10 heures du matin. Les S.S. dégagèrent un espace où ils s’installèrent et où ils placèrent un poêle ; ils firent de la cuisine. Ils étaient armés d’un gros gourdin. Le petit Juif qui était avec Dionne reconnut en eux les tueurs d’Auschwitz. Parmi les déportés, un certain nombre avait été refoulé d’Auschwitz. Les déportés serrés les uns contre les autres ne pouvaient se tenir que debout. Ils n’avaient ni à manger ni à boire. La soif devint vite si ardente que ceux qui avaient la chance d’être contre les parois des wagons les léchaient pour se rafraîchir. Il faisait très froid, et la buée qui se dégageait de la masse humaine se condensait le long des parois. Il faisait sombre ; seule la lueur d’une lampe tempête éclairait l’intérieur du wagon. Le voyage dura un peu plus de trois jours. Le train alla d’abord vers le nord, puis à Weimar où il y eut un arrêt (le 14 au soir). Il arriva à Mauthausen le 16 février à midi. Le voyage fut effroyable : outre la faim, la soif et le froid, l’impossibilité de remuer… Une partie des déportés fut massacrée par les S.S. Ceux-ci, ayant reconnu des Israélites d’Auschwitz, les appelèrent l’un après l’autre, puis les tuèrent à coups de gourdin sur la tête ; ils faisaient rejeter les corps au fond du wagon. Ils voulurent tuer le petit Juif de Toulouse, mais de Dionne le sauva en affirmant qu’il n’était pas Juif (ce qui fut facilité par le fait qu’il n’avait pas du tout le type juif classique). D’autres moururent d’épuisement.
À l’arrivée, les S.S. ordonnent de descendre les cadavres des wagons et de les mettre en tas devant chaque porte.
— Les S.S. rassemblèrent les déportés devant la gare de Mauthausen. Les Français restèrent ensemble. Comme Le Dref était très malade (il avait une fièvre violente et une maladie pulmonaire), l’abbé Vallée et de Dionne décidèrent de le mettre au milieu d’eux pour le soutenir. Ils durent marcher lentement à cause de la fatigue de Le Dref. Le sol était glissant et il neigeait. Ils arrivèrent, enfin, perdant peu à peu des rangs, au camp situé au sommet d’une colline. La porte d’entrée était surmontée d’un aigle. À 50 mètres en arrière se tenait un groupe de S.S. Ils posaient à chacun la même question : « Es-tu bien portant ? » Dionne et Vallée répondirent « oui » mais Le Dref répondit « non ». Cependant tous trois furent mis ensemble à droite avec un groupe d’environ cinq cents détenus parmi lesquels plusieurs enfants ou adolescents d’à peine vingt ans, Polonais et Ukrainiens. Vers une heure de l’après-midi, on leur ordonna de se déshabiller. Il faisait très froid ; la neige couvrait le sol et la température était de plusieurs degrés au-dessous de zéro. On les fit mettre ensuite
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