Des rêves plein la tête

On vient le voir, lui dit Laurette, l'air mauvais.
     
    — OK. Vous pouvez
monter, dit l'homme en s'écartant de leur chemin.
     
    Lorsqu'ils se
présentèrent devant la porte de la chambre où reposait Honoré, tous les trois
s'arrêtèrent un bref moment, comme pour puiser en eux l'énergie nécessaire pour
faire face à l'incontournable. Armand poussa la porte. Il ne retrouva que
Marie-Ange aux côtés de la dépouille de son père.
     
    — Mon Dieu !
s'écria Annette en se précipitant vers le lit où reposait son mari.
     
    Laurette, aussi
bouleversée que sa mère, eut cependant le réflexe de l'empêcher de se jeter sur
Honoré. On avait retiré la tente à oxygène et remonté le drap jusqu'au menton
du défunt dont les traits étaient étrangement détendus. Pendant que la mère et
la fille pleuraient silencieusement, debout devant le corps, Armand s'approcha
de Marie-Ange, qui n'avait pas prononcé un mot depuis leur entrée dans la
chambre.
     
    — Où est Bernard
? lui demanda-t-il.
     
    — Il est descendu
en bas pour signer les papiers. Il va revenir.
     
    Quelques minutes
plus tard, Bernard se présenta dans la pièce, les yeux rougis. Les enfants
laissèrent un certain temps à leur mère pour surmonter sa peine avant de
l'entraîner dans le couloir où on se concerta. Il fut décidé que le corps
serait exposé dans le salon de l'appartement de la rue Champagne et que les
garçons se chargeraient des formalités. Marie-Ange et Bernard, le seul couple
sans enfant, se proposèrent pour demeurer avec Annette jusqu'au jour des
funérailles.
     
    Un peu après cinq
heures, tous les cinq s'entassèrent \ dans un taxi LaSalle. On laissa Laurette
devant sa porte avant de poursuivre la route vers la rue Champagne.
     
    Les enfants,
tristes et abattus, attendaient leur mère. Emma Gravel les avait mis au courant
du décès de leur grand-père et leur avait recommandé d'être gentils avec leur
mère parce qu'elle avait beaucoup de peine.
     
    Gérard n'apprit
la nouvelle qu'à son retour du travail. À la vue de sa femme ravagée par le
chagrin, il lui suggéra d'aller dormir une heure ou deux pendant qu'il se
débrouillerait pour faire souper les enfants avec l'aide de Denise.
     
    Un peu avant sept
heures, il alla la réveiller.
     
    — Force-toi pour
manger un morceau. Après, on va aller chez ta mère avec les enfants.
     
    Laurette grignota
une rôtie sans appétit et s'habilla lentement. Les enfants, réfugiés dans leurs
chambres depuis la fin du souper, endossèrent leurs manteaux et quittèrent
silencieusement l'appartement en compagnie de leurs parents.
     
    Rue Champagne,
quelqu'un avait songé à épingler un crêpe noir sur la porte d'entrée des Brûlé.
A leur arrivée, les Morin trouvèrent le logement déjà pris d'assaut par des
voisins, des amis et des connaissances. Le cercueil d'Honoré avait été déposé
sur deux tréteaux couverts d'un drap noir et placé devant la fenêtre du salon.
Tassée sur
     
    une chaise,
Annette ne cessait de fixer son vieux compagnon d'un regard vide. Elle ne
s'animait que lorsqu'on s'adressait directement à elle.
     
    Laurette vint
immédiatement se placer aux côtés de sa mère pendant que Gérard conduisait ses
enfants devant la tombe de leur grand-père. Richard semblait le plus touché et
paraissait incapable de s'éloigner de celui dont il avait été le préféré.
     
    — Bon, là, tu vas
aller rejoindre les autres enfants dans la cuisine, lui ordonna son père quand
il le vit encore debout près du corps plusieurs minutes après leur arrivée.
     
    Il le poussa
doucement vers le couloir.
     
    Les deux jours
suivants furent un véritable cauchemar pour toute la famille. Beaucoup de
clients se déplacèrent pour venir saluer une dernière fois leur livreur de
glace. Les parents et les amis furent nombreux à venir offrir leurs sympathies
à la famille. Laurette et Gérard furent presque toujours présents rue
Champagne. En quelques occasions, ils chargèrent Denise de garder ses frères et
sa sœur à la maison de manière à ne pas leur imposer de trop longues heures de
veille chez leur grand-mère.
     
    Le lundi matin,
un soleil timide vit se former le convoi funéraire devant la porte de
l'appartement de la rue Champagne. La plupart des participants se déplacèrent à
pied jusqu'à l'église Saint-Vincent-de-Paul. Quelques minutes avant huit
heures, le glas annonça le service funèbre au moment où le corbillard
s'immobilisait devant