Des rêves plein la tête

va être débarrassés d'eux autres pour les fêtes», se
dit-elle pour s'encourager.
     
    Comme il
s'agissait également du premier Noël de sa fille, la jeune mère de famille ne
ménagea pas ses efforts pour décorer l'appartement. Elle consacra plusieurs
jours à confectionner des guirlandes et insista pour que son mari fasse l'acquisition
d'un arbre de Noël qui fut dressé dans
     
    un coin du salon.
Le couple n'avait pas suffisamment d'argent pour acheter une ou deux douzaines
de boules décoratives, mais il fit en sorte que l'arbre soit beau avec ses
guirlandes et ses glaçons découpés dans du papier d'aluminium.
     
    Quelques jours
avant Noël, Laurette se résigna à entreprendre la tâche qu'elle redoutait le
plus, soit préparer des tartes et des pâtés à la viande. L'année précédente, sa
mère lui avait fait cadeau d'une tarte et d'un pâté, lui évitant ainsi une
longue matinée d'angoisse. Mais cette année, il n'était pas question qu'elle
s'en remette à sa mère.
     
    La veille, elle
s'était donné la peine de faire une petite visite surprise à sa mère afin de
copier la recette.
     
    — Énerve-toi pas
avec ça, lui avait conseillé Annette. T'as juste à suivre la recette et tu vas
réussir ta pâte sans mal. T'en reviendras pas comme c'est facile.
     
    -— Vous le savez,
m'man, j'ai jamais eu le tour de faire
     
    ça.
     
    — T'es pas plus
bête qu'une autre. Tu vas être capable.
     
    Ce matin-là, dès
le départ de Gérard pour le travail, elle sortit sa farine et entreprit de
confectionner sa pâte.
     
    — Si j'ai le
temps, je vais même essayer de faire de la pâte à pain, déclara-t-elle au bébé,
comme si Denise pouvait la comprendre. Ce serait le fan si je pouvais faire une
ou deux douzaines de beignes avec les tartes. La belle-mère en reviendrait pas.
     
    Laurette mélangea
avec soin la farine, l'eau, la graisse végétale et l'œuf jusqu'à obtenir une
pâte consistante. Fière d'elle, la jeune femme sortit son rouleau à pâte et
entreprit de rouler ce qui devait être la croûte de son premier pâté pendant
que son mélange de porc et de bœuf hachés mijotait dans une poêle avec des
oignons. Après quelques coups de rouleau, la pâte se mit à coller à
l'instrument et Laurette
     
    dut saupoudrer de
la farine pour la décoller. Pendant de longues minutes, elle ragea à essayer
vainement d'étaler sa pâte. Chaque fois, cette dernière finissait par se
déchirer et elle devait la rapiécer.
     
    A bout de
patience, elle se résigna finalement à déposer au fond de ses assiettes de tôle
une pâte épaisse et grisâtre à force d'avoir été manipulée. Elle s'empressa de
recouvrir le tout de viande, espérant avoir plus de succès pour couvrir les
pâtés. Malheureusement, ses tentatives ne connurent pas plus de succès et les
trois pâtés qu'elle déposa dans le four après les avoir badigeonnés avaient une
apparence peu appétissante.
     
    — Ça va être
moins pire quand ces maudites tourtières-là vont être cuites, dit-elle à voix
haute pour s'encourager.
     
    Lorsque lé temps
de cuisson fut terminé, les pâtés avaient une croûte dorée, ce qui la rassura
quelque peu. Après avoir fumé une cigarette, elle se remit aussitôt au travail
pour confectionner autant de tartes aux raisins. Au début de l'après-midi, les
résultats obtenus n'étaient guère plus satisfaisants que les précédents.
     
    — Maudit verrat !
jura-t-elle à la vue des trois tartes déposées sur le coin de la table. Que le'
diable emporte le pain et les beignes ! Je suis pas pour me faire mourir à
faire ça. Je vais faire un gâteau à la place. Un gâteau aux épices, ça, je suis
capable de le faire.
     
    Lorsque Gérard
rentra à la fin de sa journée de travail, il s'empressa de la féliciter à la
vue des pâtés et des tartes qui couvraient une bonne partie de la table.
     
    — Ça l'air bon en
cybole ! s'exclama-t-il en se penchant au-dessus.
     
    — Touches-y pas !
lui ordonna Laurette. J'ai eu assez de misère à les faire. C'est pour le souper
de Noël.
     
    Afin de bien
conserver toutes les tartes et pâtés, elle lui demanda plutôt d'installer sur
le balcon un coffre en bois qu'elle avait aperçu au fond du hangar l'automne
précédent. Après avoir astiqué le coffre, elle l'aida à y ranger tous les
plats.
     
    Le jour de Noël,
le temps se maintint au beau fixe. Il fit froid, mais aucune chute de neige ne
vint perturber les déplacements des gens.