Des rêves plein la tête
Laurette avait secrètement espéré
qu'une tempête empêche sa belle-famille de se rendre à destination, mais elle
dut se résoudre à la recevoir.
— En tout cas,
prit-elle la précaution de dire à Gérard, quelques minutes avant l'arrivée des
invités, ils sont mieux d'avoir une plus belle façon que la dernière fois que
je les ai reçus parce que je te garantis que ça va prendre une mèche de temps
avant que je les réinvite.
— Fais-leur une
aussi belle façon que celle que je fais à tes parents et il y aura pas de
problème, rétorqua son mari en nouant sa cravate.
Les Morin
sonnèrent à la porte sur le coup de quatre heures, apparemment heureux de
revoir Gérard, Laurette et surtout le bébé, qu'ils n'avaient pas revu depuis
son baptême en août. Les «joyeux Noël» précédèrent les embrassades et les hôtes
aidèrent leurs invités à retirer leurs manteaux.
Tout le monde
prit place dans le salon et Lucille Morin fit hautement l'éloge de l'arbre de
Noël installé dans la pièce. Laurette était allée chercher Denise dans son
berceau et avait déposé le bébé de quatre mois dans les bras de Colombe qui ne
se tenait plus d'aise d'avoir à le dorloter. On prit des nouvelles de la
famille et on parla beaucoup de la misère générale engendrée par la crise
économique qui ne semblait pas vouloir se résorber.
Vers six heures,
Laurette pria tout le monde de passer à table et servit du ragoût de boulettes
et du pâté à la viande. C'est avec étonnement qu'elle accepta les félicitations
de sa belle-mère pour le repas. On aurait dit que Lucille s'était vraiment mise
en frais d'être agréable. Rayonnante, l'hôtesse participa activement à la
conversation puis termina le service en offrant à chacun de la tarte aux
raisins et un morceau de gâteau. On resta longtemps attablé à parler de tout et
de rien.
Lorsque vint le
temps de ranger la cuisine, les hommes s'esquivèrent au salon. En jetant les
restes contenus dans les assiettes, Laurette remarqua tout de même que
plusieurs avaient laissé la croûte de sa tarte, comme ils l'avaient fait
d'ailleurs pour celle de son pâté à la viande.
— Je crois ben
qu'il y en a qui ont pas aimé ma pâte à tarte, dit-elle, acide, à Lucilie et
Colombe, qui l'aidaient à nettoyer.
— Pour moi, ma
fille, je pense qu'on l'a laissée bien plus parce que vous avez servi de trop
grosses portions, lui dit sa belle-mère, diplomate.
— J'en n'ai pas
donné tant que ça, se défendit mollement Laurette.
— Il y avait de
quoi remplir largement un estomac normal, rétorqua Lucille avec bonne humeur.
Un peu rassurée,
Laurette entreprit de laver la vaisselle pendant que sa belle-sœur et sa
belle-mère l'essuyaient. Quand la besogne fut presque terminée, Lucille invita
sa fille à aller rejoindre les hommes au salon.
— Dites-moi,
Laurette, êtes-vous encore en famille ? demanda-t-elle ensuite à voix basse en
examinant sa bru.
— Qu'est-ce qui
vous fait dire ça, madame Morin ? fit Laurette, surprise.
— Je vois ça à
vos yeux. En plus, je pense que vous avez pris un peu de poids, non ?
— Vous vous
trompez pas, reconnut la jeune femme, résignée.
— On pourra pas
dire que vous aurez eu un grand répit entre vos deux enfants...
— C'est ce que je
me disais aussi.
— Remarquez qu'on
est toujours mieux de les avoir quand on est jeunes, dit Lucille, sentencieuse.
Moi, j'ai eu Gérard à vingt-sept ans et Colombe à trente-trois et, chaque fois,
ça a été difficile. Vous, vous avez vingt-deux ans et vous avez l'air en pleine
santé. Pour quand l'attendez-vous?
— Pour la fin
juillet.
— Ce sera tout un
événement! C'est tout de même dommage que vous ayez pas eu le temps de perdre
le surplus de poids que vous aviez pris en portant la petite...
Laurette grimaça.
Bien sûr qu'elle avait perdu sa ligne de jeune fille depuis la naissance de
Denise. Elle s'en était rendu compte en tentant d'entrer dans sa robe de
mariée, qu'elle aurait voulu porter encore un an ou deux. Mais elle n'était pas
grosse... Son visage et ses hanches s'étaient peut-être un peu arrondis, mais
pas tant que cela.
Agacée par la
remarque de sa belle-mère, Laurette en oublia sa résolution de ne jamais fumer
en présence de ses beaux-parents. Après avoir vidé l'évier, elle ouvrit une
porte d'armoire d'un geste machinal, s'empara de son porte-cigarettes et
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