Des rêves plein la tête

dominicale et à la communion
avant de lui rappeler avec sérieux les devoirs d'une épouse envers son mari. Il
allait lui proposer de la bénir ainsi que son enfant quand un mouvement furtif
attira soudain son attention.
     
    L'ecclésiastique
plissa les yeux derrière les verres épais de ses lunettes et aperçut un énorme
rat brun qui le fixait de ses yeux rouges, quelques pieds derrière son hôtesse.
     
    — Mais c'est un
rat ! s'écria-t-il en se levant précipitamment tout en pointant un index vers
la bête, qui n'avait pas bougé.
     
    Laurette sursauta
violemment et tourna la tête dans la direction indiquée par le visiteur. Elle
poussa un cri et faillit échapper son bébé en apercevant l'animal qui faisait
près d'un pied de long. Denise se mit à pleurer à fendre l'âme pendant que sa
mère grimpait, tant bien que mal, sur le divan pour les protéger du monstre.
     
    Anselme Crevier
chercha durant un court moment un objet quelconque à lancer à la bête pour la
faire fuir. Comme il ne trouvait rien, il se résolut à retirer rapidement l'une
de ses chaussures qu'il projeta sur l'animal. Il le rata, mais son geste le fit
tout de même déguerpir dans un couinement.
     
    Le prêtre
s'empressa de reprendre sa chaussure, tout en vérifiant si le rat ne revenait
pas. De son côté, sans être très rassurée, Laurette consentit à reposer ses
pieds par terre.
     
    Elle mourait de
honte. Comment cette vermine était-elle parvenue à entrer chez elle ? Elle
n'ignorait pas qu'il y avait des rats dans la cave et dans le hangar, mais
jamais ils n'avaient osé pénétrer dans l'appartement. Elle éprouvait envers ces
bêtes imprévisibles une peur irraisonnée qui lui enlevait tous ses moyens.
     
    — C'est la
première fois que je vois un rat ici dedans, expliqua-t-elle au prêtre, rouge
d'humiliation.
     
    Anselme Crevier
la regarda un moment sans rien dire puis la bénit rapidement avec sa fille
avant d'endosser son manteau.
     
    — Voilà toute
l'importance de l'hygiène, madame, dit-il sèchement alors que sa paroissienne
lui ouvrait la porte.
     
    Il y a pas de
vermine là où c'est bien propre. Avant de faire le ménage ailleurs, il faut
d'abord s'occuper de la propreté de sa propre maison.
     
    Sur ce, le prêtre
quitta l'appartement en esquissant un petit salut de la tête. Quelques instants
furent nécessaires à Laurette pour comprendre exactement ce que son visiteur
avait voulu dire en la quittant.
     
    — Ah ben, maudit
verrat ! s'exclama-t-elle. Tu parles d'un effronté ! Au fond, il m'a traité de
maudite cochonne ! C'est propre ici dedans. J'arrête pas de laver et de
nettoyer. C'est tout de même pas de ma faute si la vermine des voisins a fini
par entrer. Ah ben, j'en reviens pas ! Je voudrais ben voir de quoi ça aurait
l'air chez eux s'il venait rester sur la rue Emmett, lui.
     
    Ce jour-là,
Laurette n'osa pas quitter sa fille des yeux de la journée, de crainte que le
rat ne reparaisse. Elle attendit avec impatience le retour de Gérard, à qui
elle raconta la visite du curé.
     
    — Tu vas me le
trouver, ce rat-là, parce que je t'avertis tout de suite que je couche pas ici
dedans avec la petite à soir si tu m'en débarrasses pas.
     
    — Calme-toi les
nerfs, lui ordonna son mari. On va commencer par trouver par où il est entré
et, après, on va boucher le trou. C'est pas la fin du monde, cybole !
     
    Quelques minutes
plus tard, Gérard découvrit un trou dans la plinthe, derrière le divan. Il
saupoudra l'endroit de poison et l'obstrua tant bien que mal avec un morceau de
tôle qu'il cloua directement sur la plinthe.
     
    Quand il montra
son travail à sa femme, cette dernière ne put s'empêcher de lui demander en
réprimant mal un frisson :
     
    — Es-tu ben sûr
que ça va l'empêcher de revenir?
     
    — Certain,
affirma-t-il avec aplomb. Voyons, Laurette, comment veux-tu qu'il mange de la
tôle ?
     
    Malgré tout, la
jeune mère de famille passa sa soirée à épier tous les bruits suspects de
l'appartement. Le moindre craquement la faisait sursauter. A de multiples
reprises, elle quitta le salon où le couple écoutait la radio pour aller voir
s'il n'y avait pas un rat dans la chambre où dormait Denise.
     
    — Veux-tu ben te
calmer, finit par lui ordonner Gérard. Je te dis qu'il reviendra pas. Si ça se
trouve, tu lui as fait tellement peur qu'il est mort d'une crise de cœur dans
son trou, ajouta-t-il pour la faire sourire.
     
    — Ça fait rien,
je me sens pas