Dieu et nous seuls pouvons
la
race des fox-terriers et qu’il deviendra un bon ratier. Quand il sera plus
grand, on pourra peut-être le laisser dans le grenier où il apprendra à
chasser.
Sa tante n’était pas de cet avis.
— Les rats et les souris sont
le travail de Princesse… En fait, plus j’y réfléchis et plus je ne vois qu’une
solution. Comme c’est ton chien, c’est toi qui dois t’en occuper. Tu devras
donc rester ici.
— Je voudrais bien, ma tante,
mais je vais à l’école.
— Eh bien, tu n’iras plus.
Après tout, tu sais lire, tu sais gribouiller, tu sais compter jusqu’à mille,
ça suffit bien pour ce que tu vas devenir dans la vie… Tu n’as qu’à rester ici
avec ton chien, comme ça tu pourras aussi aider ton oncle au fournil. Ça tombe
bien d’ailleurs, avec Pâques qui approche et cet ingrat de Raymond qui s’en va.
Elle lança un regard venimeux vers
la porte ouverte donnant sur le fournil où déjeunaient les apprentis et la
bonne.
Après trois ans d’apprentissage,
Raymond leur avait annoncé son intention de se marier et de s’installer chez
son beau-père, un boulanger, à Rodez.
— Mais alors, moi aussi je veux
un chien ! Moi aussi je veux travailler au fournil avec papa !
s’exclama Parfait d’une voix indignée.
— Toi, tu feras ce qu’on te
dira de faire !
Margot et Béatrice pouffèrent dans
leurs serviettes.
— Je ne peux pas quitter
l’école maintenant. Le certificat est dans un mois et je suis sûr de l’avoir.
Il chercha les yeux de son oncle
sans les trouver.
— Assez raisonné, décréta
Hortense. Tu dois choisir : ou bien tu quittes l’école et tu gardes ton
chien, ou bien tu t’en débarrasses. Personne ici ne peut s’en occuper pour toi.
Tu comprends au moins ?
— Moi je peux, proposa Parfait
spontanément.
Cette fois il reçut une gifle.
— Mange et tais-toi !
Saturnin regarda le chiot. Jugeant
sans doute le bois du tabouret trop coriace, il s’était attaqué à sa ficelle et
la mâchait avec entrain. Il se pencha pour lui caresser la tête. Jamais encore
il n’avait possédé quelque chose de vivant.
— Alors, Saturnin, tu as
entendu ce que je viens de te dire ou pas ?
— J’ai entendu, ma tante… Mais
c’est bête que je ne passe pas le certificat, grand-père dit que c’est
important de l’avoir.
— Qu’en sait-il, ton
grand-père ? Il ne sort jamais de chez lui. L’a-t-il seulement, son
certificat ?
Princesse entra dans la pièce. Le
chien bondit, la ficelle cassa, la bruyante sarabande recommença dans
l’arrière-boutique, puis dans la boutique.
— Boudiou !
Boudiou ! gémit la vieille Bouzouc en levant les
bras vers le plafond.
*
Accoudé au balcon malgré la
fraîcheur, Léon fumait une dernière cigarette en regardant les éteigneurs de
réverbères obscurcir la rue du Dragon. De l’autre côté de la pièce, derrière le
grand paravent décoré de chinoiseries, Hortense enfilait sa chemise de nuit. Celle
qu’elle portait dix-huit ans plus tôt la nuit de leurs noces. Elle était neuve
à l’époque et la rugosité de la toile bise l’avait presque autant surpris que
l’étroite fente verticale pratiquée à la bonne hauteur et autour de laquelle on
avait brodé au point de croix rouge : Dieu le veut. Léon ne l’avait
jamais vue sans.
De l’autre côté de la cloison, comme
chaque soir avant de se coucher, Saturnin et Parfait s’agenouillaient au pied
du grand lit qu’ils partageaient et récitaient à toute vitesse leur prière.
— Faites, mon Dieu, que
Saturnin change d’avis et reste en classe avec moi, ajouta Parfait qui avait
toujours scrupuleusement copié sur son cousin.
— Tu vas l’appeler
comment ? demanda-t-il plus tard.
— Brise-Tout.
— Ça lui va bien, approuva
Parfait en regardant le chiot déchiqueter la couverture de son livre de calcul.
Chapitre V
Le lendemain, dimanche 14 mai
1906, rue du Dragon, 4 heures du matin.
— Réveille-toi, c’est
l’heure !
Le chiot aboya sous le lit. Saturnin
ouvrit les yeux à regret et vit Benoît, le second apprenti, une chandelle à la
main.
— Laisse-moi, j’ai encore
sommeil.
— Lève-toi, macarel, le patron
n’aime pas qu’on traîne. Et dis à ton aboyeur de la fermer sinon y va réveiller
m’dame Hortense et alors là…
Saturnin se souvint de l’accord
passé avec sa tante. Il écarta drap et couvertures et se laissa glisser au sol.
Il caressa la tête de Brise-Tout qui
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