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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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front.
    — C’est un beau poupard et
c’est une grande pitié de l’avoir défiguré.
    Soudain les traits de la nourrice se
durcirent. Se penchant sur le bambin, elle le renifla avant de déclarer d’une
voix sévère :
    — Pas étonnant qu’il dorme si
bien, il empeste l’eau-de-vie.
    Le Grand Vigilant avait
sursauté :
    — De l’eau-de-vie ? Que
débagoules-tu là, ma fille ?
    — La pure vérité, Monseigneur.
Je dis que ce poupard est ivre mort. On lui a fait téter un chiffon trempé dans
du rhum. C’est comme ça que pratiquent les mauvaises mères quand elles ne
veulent pas être réveillées la nuit.
    En dépit de toutes ces
excentricités, Éponine avait accepté la garde de l’enfant au tarif habituel de
cinq livres mensuelles. Quant au Grand Vigilant Melchior, il était retourné au
monastère fort mécontent d’avoir baptisé un peu plus tôt un enfant en état
d’ébriété, s’interrogeant plus que jamais sur l’identité des parents. Au moment
de sa découverte, l’enfant était nu, à l’exception d’un mouchoir brodé autour
de sa cuisse sur lequel on lisait, écrit au charbon de bois :
« Pardon. »
    En ce temps-là, le peuple se
mouchait dans ses doigts, les bourgeois sur leurs manches, seuls les gens de
condition et le clergé utilisaient des mouchoirs. La qualité du linge
matelassant le panier, la finesse de la broderie du mouchoir, le fait que le
cavalier (la cavalière ?) sache écrire avaient incité le Grand Vigilant à
penser qu’il ne pouvait s’agir que d’un bâtard de qualité dont la venue dans
cette vallée de larmes suscitait plus d’embarras que de félicité.
« On » n’avait pu se résoudre à l’occire, alors « on »
l’avait abandonné sous le porche de son monastère… Mais pourquoi l’avoir si
odieusement défiguré ? Pour qu’il ne puisse ressembler plus tard à son
géniteur ? Et pourquoi le nez ? L’abbé Melchior eut beau battre le
rappel des appendices nasaux des gentilshommes de la région, il n’en trouva
aucun suffisamment remarquable pour justifier une pareille méchanceté.
    Le prélat était en vue du porche
lorsqu’il vit la silhouette d’un chien errant happer quelque chose au pied de
la statue de son ancêtre, puis s’enfuir en grondant à son approche. Comment
aurait-il pu deviner que l’animal venait de trouver le nez du nouveau-né
arraché deux heures plus tôt et recraché dans la poussière ?
    Plus tard dans la soirée, l’abbé
Melchior ouvrit le registre des naissances de Roumégoux (l’ordre en avait la
responsabilité depuis le XII e siècle) et inscrivit l’enfant sous le
nom de Justinien Trouvé. Justinien en référence au basileus de Constantinople
Justinien Rhinotmète, l’empereur à qui ses ennemis avaient coupé le nez, Trouvé
parce que, avec Dieudonné et Déodat, c’était le nom que l’on donnait aux enfants
abandonnés.
     
    *
     
    L’été prenait fin lorsque Justinien
ébaucha ses premiers sourires et se mit à gazouiller quand on lui parlait. Pour
l’Épiphanie il marchait à quatre pattes et embouchait tout ce qu’il pouvait
saisir. A Pâques, il répondait à son nom et tenait des conversations de trois
ou quatre mots avec les chiens, les poules, les fourmis, le pied de la table,
etc.
    Pour son premier anniversaire, le 10
juin 1664, le Grand Vigilant Melchior Fendard réapparut chez les Coutouly. Il
se montra fort satisfait de trouver un enfant bien fait, joufflu, au teint
incarnat et même capable de faire quelques pas. Sans ce trou béant et rosâtre…
    — Je te félicite, ma fille,
voilà un moutard qui respire la santé.
    Attiré par le grand crucifix de
vermeil qui pendait au cou de son parrain, Justinien babilla en tendant les
bras pour s’en saisir.
    — Ce cher enfant me reconnaît,
se méprit l’ecclésiastique d’une voix émue.
    A l’âge de deux ans, Justinien
courait sans trop tomber et, à trois, il mangeait et s’habillait seul. A quatre
ans, il disait « je » au lieu de « Justinien », sautait
très bien à cloche-pied comme à pieds joints. Il était en mesure d’indiquer la
maison où il habitait mais il ne faisait pas encore la différence entre hier,
aujourd’hui et demain.
    A cinq ans, il montait aux arbres et
Martin lui apprenait à lire et à écrire, d’abord dans un manuel de civilité
puérile, puis dans L’Iliade et L’Odyssée.
    Le 10 de chaque mois, Éponine se
rendait au monastère recevoir son dû et chaque 10 juin, le

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