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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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ça
m’obligerait à respirer par la bouche.
    A compter de ce jour mémorable,
Justinien se révéla un bon élève, attentif, consciencieux quoiqu’un peu
raisonneur.
     
    *
     
    Justinien quittait l’âge nubile et
entrait dans celui de l’adolescence lorsque son parrain l’envoya faire son
noviciat au séminaire de l’ordre situé à Racleterre, une bourgade éloignée de
Roumégoux d’une dizaine de lieues. Le jour du départ, Martin lui offrit son
couteau.
    Stupéfait par l’importance du
présent, Justinien n’avait pas osé y toucher.
    — Prends-le, je te dis, nigaud,
avait insisté l’ancien marin en forçant le couteau dans sa main. Comme ça, s’il
arrive quelque chose à ton nez, tu pourras t’en refaire un autre.
    — Mais c’est celui de Pibrac,
je ne peux pas le prendre.
    Aussi loin que remontaient ses
souvenirs, il revoyait Martin avec son couteau en train de sculpter ses
bateaux, trancher sa viande, curer sa pipe.
    — Il aurait aimé que tu l’aies…
et moi aussi, alors voilà.
    En plus du couteau, Martin lui
glissa un écu d’argent de trois livres. Ce n’était pas comme son parrain, le
Grand Vigilant, qui, en manière de cadeau d’adieu, lui offrit une vieille bure
qui ne sentait pas très bon, un bout de ficelle en guise de ceinture et une
paire de sandales éculées. Puis il lui avait tonsuré le sommet du crâne sur un
pouce, le format des novices, en le mettant solennellement en garde contre les
démons, ces valets du diable qui pullulaient sur les routes du royaume et qu’il
risquait de croiser.
    — Ce qui est fâcheux, vois-tu,
mon enfant, c’est que le démon peut t’apparaître sous de multiples formes et te
berner. Il peut se montrer sous la forme d’un cheval, d’un chien, d’un chat et
évidemment d’un bouc. Mais aussi sous l’apparence d’un homme décemment vêtu,
d’un beau soldat ou même d’une jolie garce. Il a même été signalé sous la robe
d’un jésuite.
    — Mais alors, comment
faire ?
    — Il faut être vigilant et
observateur. Si le démon est capable de créer une forme, il n’est pas capable
de l’imiter parfaitement. C’est pour ça qu’il n’est qu’un démon… Quelque chose
manquera toujours ou sera en trop. Retiens que dans les cas les plus évidents,
il sent le soufre et lorsqu’il pète les fleurs se fanent dans un rayon de vingt
pieds… Tu dois constamment être sur tes gardes. Ce n’est pas pour rien qu’on
l’appelle aussi le Malin.
    — Ce que je ne comprends pas,
parrain, c’est pourquoi depuis tout ce temps, Dieu qui est Tout-Puissant n’en
est pas encore venu à bout.
    La cloche sonnant la relève des
adorateurs perpétuels du Saint Prépuce avait dispensé l’abbé Melchior de
répondre. Il invita l’adolescent à se joindre aux vigilants qui venaient
d’apparaître dans la cour et marchaient vers la chapelle du XIème siècle,
joignant leurs voix à ceux qui sortaient en chantant le Veni Creator. A
aucun instant, même le plus infime, le fil de l’adoration perpétuelle ne devait
être rompu. Cela durait depuis cinq siècles et cela devrait durer jusqu’au
Jugement dernier.
    Une fois dans le couloir,
l’adolescent dissimula mal son manque d’enthousiasme à l’idée de prier deux
heures d’affilée à genoux sur du carrelage. Pourtant il suivit les vigilants et
pénétra à leur suite dans la chapelle enfumée d’encens. Au passage, il n’oublia
pas de piétiner la dalle sous laquelle le banneret Gauthier Fendard, par pure
humilité, avait exigé d’être enterré.
    Sans interrompre leur chant, les
vigilants s’agenouillèrent sur le dallage en échiquier, écartèrent leurs bras
et fixèrent leur regard sur le saint prépuce de l’Enfant-Jésus, petit morceau
de chair racorni à peine visible dans son reliquaire de cristal soufflé en
forme de phallus serti d’or et de vermeil. Long d’une cinquantaine de
centimètres, le célèbre reliquaire était soutenu à bout de bras par un saint
Michel et un saint Gabriel de six pieds de haut. Aux murs et au plafond
couraient des fresques du XIV E siècle relatant sa découverte en
Terre sainte et l’édification en son honneur de la chapelle, puis du monastère.
    Deux heures plus tard, la cloche
sonna la relève, d’autres vigilants apparurent. Justinien put enfin se mettre
en marche pour le séminaire de l’ordre.
    Celui-ci se trouvant à dix lieues de
Roumégoux sur la route de Racleterre, il chemina un jour et demi avant d’y
arriver,

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