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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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Grand Vigilant
visitait son protégé, le trouvant chaque fois « fort grandi et l’esprit
moult débourré pour son âge ».
    — Peut-être en ferons-nous un
vigilant ? songeait-il avec attendrissement.
     
    *
     
    Le jour des sept ans de Justinien,
l’abbé Melchior ne faillit point à son habitude en lui rendant visite, mais
cette année-là, au lieu de lui tapoter les joues et de féliciter sa
maman-tétons pour sa bonne mine, il lui prit la main et le conduisit à l’école
de la paroisse.
    A cette époque, Justinien n’avait
pas de nez et son apparition suscita l’effarement de ses élèves qui le prirent
pour un lépreux. Il fallut toute l’autorité du Grand Vigilant pour ramener le
calme dans la classe.
    — Justinien que voici a été
victime d’un accident. C’est une grande méfortune et il serait injuste d’en
avoir peur ou de lui en tenir rigueur.
    Comme il n’y avait pas assez de
bancs et de pupitres pour tous, le gros régent lui désigna le sol de terre
battue recouvert de joncs. Justinien s’était assis en tailleur et avait baissé
la tête, incommodé par l’insistance de tous les regards. Il attendit la
première récréation pour s’enfuir et retourner chez les Coutouly, ses parents
adoptifs.
    Un bout de mie de pain fiché à la
pointe de son couteau, Éponine épluchait des oignons sans pleurer et Martin,
assis près de la fenêtre, sculptait la proue d’un galion espagnol (une sirène à
longue chevelure dotée d’une arrogante poitrine) quand il fit irruption dans la
grande salle au plafond bas.
    — Pourquoi je n’ai point de nez
comme tout le monde ?
    Les Coutouly s’étaient regardés. Eux
aussi auraient aimé savoir.
    — Nous l’ignorons, mon garçon.
Tout ce que Monseigneur nous a dit en t’apportant ici, c’est qu’il t’a trouvé
ainsi sous le porche du monastère.
    — Il a dit que j’avais eu un
« accident ». C’est quoi, un accident ?
    L’ancien marin gratta sa nuque avec
le manche de son couteau.
    — Hum, hum… Un accident,
vois-tu… un accident, c’est quand la chaise de poste a botéculé le fils Toizac
l’an passé. Il lui manque une jambe depuis et il ne peut plus travailler… Ce
que Monseigneur a voulu dire, c’est que ce n’est pas ta faute si tu n’as pas de
nez.
    — C’est arrivé quand tu n’étais
pas plus haut qu’un biberon, précisa Éponine. Un soir, Monseigneur est entré
par cette porte, tu étais dans un panier et tu n’avais déjà plus de nez.
    — C’est arrivé comment ?
    — Ah, ça, il ne l’a pas dit.
    « J’ai donc eu un nez moi
aussi », se dit le garçonnet. Pourquoi le lui avait-on enlevé, et qui
avait fait une chose pareille ?
    Martin comme Éponine ne surent que
répondre.
    Refusant de retourner à l’école,
Justinien marcha jusqu’au monastère fortifié de l’ordre, construit au XI e siècle au centre d’un cirque naturel, à une lieue du bourg.
    Arrivé devant le grand porche orné
du blason des Fendard, il tira sur la cloche en regardant la statue de pierre
du banneret Gauthier Fendard, le fondeur de l’ordre des Vigilants de
l’Adoration perpétuelle du Saint Prépuce. Là donc avait commencé sa vie
légale !
    L’abbé Melchior Fendard, douzième
Grand Vigilant de l’ordre, méditait devant une marmite d’eau bouillante,
s’interrogeant à l’infini sur cet inexplicable miracle qui faisait disparaître
il ne savait où toute eau portée à ébullition quand le frère portier
introduisit son filleul dans la cuisine. Il fronça les sourcils.
    — Que fais-tu ici ? Tu
devrais être en classe.
    Le garçonnet s’était approché et lui
avait baisé la main.
    — Je vous en prie, parrain,
dites-moi qui sont mes parents et pourquoi je n’ai plus de nez.
    L’abbé mima l’ignorance.
    — Quand Eusébius t’a découvert
sous le porche, tu étais déjà ainsi.
    — Mais pourquoi, parrain ?
J’avais fait quelque chose de mal ?
    — Tu n’avais rien fait du
tout ! Tu n’étais pas plus grand qu’un alevin. Bien trop petit pour avoir
fait quelque chose de mal… ou de bien d’ailleurs.
    — Alors pourquoi le bon Dieu a
laissé faire ?
    Le prélat soupira. Il n’aimait pas
les questions du gamin et il aimait encore moins le ton sur lequel il les
posait. Que pouvait-il lui répondre ? Lui-même n’en savait guère plus.
Sept ans plus tôt, jour pour jour, après les vêpres, le frère Eusébius avait
aperçu un cavalier déposer un panier au pied de la statue

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