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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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dormant à Beaujour dans l’une des nombreuses fermes de l’ordre. Il
croisa des colporteurs, des ramoneurs, des scieurs de long qui s’en allaient
vers l’Espagne, des saltimbanques, des saisonniers à la recherche de travail,
mais aussi de nombreux pèlerins qui par mesure de sécurité voyageaient en
groupe comme les marchands.
    Seuls incidents notables : il
prit un coup de soleil sur sa tonsure neuve et dut se défendre contre des
chiens errants qui l’auraient volontiers dévoré tant ils semblaient affamés.
    Il fit un bout de chemin avec un
quéreur de pardons professionnel se rendant à la Vierge noire de Rocamadour
pour le compte d’un seigneur du Limousin qui avait beaucoup fauté.
    Agé d’une trentaine d’années, l’air
enjoué, l’homme se vantait d’être allé une fois en Terre sainte et trois fois à
Compostelle, dont une fois pieds nus (tarif triple). Sa franchise surprit
Justinien quand il admit volontiers qu’il avait choisi sa profession plus par
goût du voyage et de l’aventure que par piété.
    — Moi aussi, j’aimerais
voyager. J’aimerais tant voir la mer… mais je ne m’appartiens pas, j’ai été
donné par Dieu à l’ordre. Je dois donc devenir un vigilant.
    — Un vigilant ! Tu vas au
séminaire de leur ordre ?
    Toute trace de gaieté avait disparu
chez le quéreur de pardons.
    — Oui, il se trouve à une lieue
de Racleterre. Tu connais notre ordre ?
    — Qui n’en a pas entendu
parler ? Et plutôt en mal, je préfère te le dire. On dit que c’est pire
que d’être soldat… On dit aussi que ceux qui y entrent n’en ressortent jamais.
    — C’est normal puisque nous
sommes un ordre contemplatif voué à l’adoration perpétuelle du Saint Prépuce.
    — On dit que le vrai est à
Saint-Jean-de-Latran, à Rome.
    — Le vrai quoi ?
    — Le vrai Saint Prépuce.
Plusieurs quéreurs l’y ont vu, et le Pape a attesté son authenticité. C’est
pour ça que les pèlerins ne viennent presque plus à Roumégoux.
    Le garçon eut soudain très peur. Et
si cet individu n’était autre que l’un de ces démons tentateurs dont faisait si
grand cas son parrain l’abbé Melchior ?
    — Tu ferais mieux de jeter ta
bure aux orties et de filer sur Marseille. Tu n’as qu’à te faire passer pour un
pèlerin qui s’est fait briconner son passeport. Tu trouveras toujours un
capitaine pour t’embarquer.
    Délivrés par les curés des
paroisses, les passeports de pèlerins donnaient entre autres le droit de
mendicité et d’hébergement dans les établissements religieux. Ils servaient
aussi aux autorités pour pouvoir discerner les vrais des faux pèlerins.
    Profitant d’une halte à l’ombre d’un
grand orme, Justinien avait discrètement reniflé son compagnon, ne trouvant que
l’honnête odeur de ceux qui prennent un bain chaque fois qu’ils tombent dans un
puits. Rien ne semblait lui manquer ou être en surnombre, mais comment en avoir
la certitude ? Le défaut révélateur pouvait être dissimulé par les
vêtements. Il pouvait compter ses doigts, mais pas ses orteils, invisibles dans
ses bottes. Justinien découvrait les limites de l’enseignement théorique
confronté à la pratique.
    Lorsque leurs routes se séparèrent,
le quéreur le quitta sur une question :
    — Sais-tu seulement à quoi sert
vraiment la tonsure qu’ils t’ont faite ?
    — Bien sûr. C’est quand un
laïque embrasse l’état religieux. Comme je suis novice, la mienne n’a que deux
pouces, mais quand je serai vigilant, elle en aura quatre.
    — Je t’ai demandé si tu savais
à quoi elle servait.
    — ?
    — C’est pour avoir un endroit
lisse où se bécoter pendant l’accouplement.
    Cela dit, le quéreur l’avait planté
là et s’en était allé sans se retourner.
     
    *
     
    Fondé l’année de la peste noire de
1347 par le banneret Raimond Fendard, sixième Grand Vigilant de l’ordre, le
séminaire de Racleterre dépendait de la matrice de Roumégoux et avait pour
vocation de former des vigilants à l’adoration perpétuelle. Pour ce faire, on
appliquait depuis trois siècles une éducation sans pareille dont Ignace de
Loyola, visiteur durant un trimestre, s’était largement inspiré en fondant sa
Compagnie cent cinquante ans plus tôt. Mais si le but de la Compagnie était de
préparer ses postulants à affronter le siècle, celui de l’ordre était de les former
à la réclusion perpétuelle.
    Nommé à vie par le Grand Vigilant,
l’abbé

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