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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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bout
du couloir dans une pièce située entre deux dortoirs. Justinien vit un petit
homme sans âge au corps osseux mal fagoté dans une soutane noire râpée aux
manches et au col, qui le regardait d’un air douloureux. On eût dit qu’à tout
instant il allait annoncer une mauvaise nouvelle. En fait, il était myope. Son
rôle au séminaire n’était pas de développer les esprits, mais de les
discipliner. Aussi avait-il fait peindre sur le mur derrière lui Fide et
obsequio – fidélité et soumission – résumant au mieux ce qu’il attendait de
chacun.
    — Monsieur le Préfet, voici le
postulant Justinien Trouvé qui nous vient de Roumégoux. Je vous prie de le
familiariser avec notre règlement, dit l’abbé Gédéon. Il connaît déjà la règle
numéro un, ajouta-t-il en lui abandonnant Justinien qui se frottait la joue
comme pour en effacer la brûlure.
    Le préfet des mœurs aimait comparer
les postulants à des pommes reinettes et le péché à un ver capable de pourrir
tout le panier. Sa mission était de traquer les vers et de les expulser. La vue
du nez de bois durcit ses traits.
    — Jetez-moi ça ! Allez,
maintenant ! Ici, les afféteries de mirliflore ne sont point de mode.
    Justinien tressaillit. Jeter son
nez ? Il devait s’agir d’une erreur. Que signifiait pareil accueil ?
Pourquoi s’acharnait-on à l’humilier ainsi ? Jamais son parrain n’avait
mentionné de telles brimades.
    — Sauf votre respect, Monsieur
le Préfet, c’est mon nez et je tiens à le garder. J’en ai le droit.
    Voilà, c’était dit.
    Une deuxième gifle, sur la même joue
et bien plus forte que la précédente, lui remémora la règle numéro un.
    — Postulant Trouvé, puisque tel
est votre nom, sachez désormais que votre seul droit est celui d’obéir. Otez ce
ridicule accessoire et baillez-le-moi !
    L’adolescent obéit en serrant les
dents pour se retenir de pleurer. Le préfet s’approcha, plissa les yeux et vit
une vilaine cavité. Il dissimula sa surprise par un rire sec, puis s’excusa en
lui rendant son nez.
    — Je vous prie de pardonner ma
méprise, mais j’ai cru qu’il s’agissait d’une coquetterie. Euh… Tenez, vous
pouvez, euh, vous rhabiller, si je puis dire.
    Justinien relaça son nez en s’énervant
sur le nœud tant ses doigts tremblaient. Le préfet inspecta alors le contenu de
sa besace. Trouvant L’Odyssée, il le déchira en deux malgré sa
couverture de cuir et jeta les morceaux sur le plancher. Cette fois, Justinien
pleura : avec son nez et son couteau, ce livre était ce qu’il possédait de
plus précieux. C’était Martin qui le lui avait offert.
    — Retroussez votre robe, exigea
le préfet désireux de s’assurer qu’il ne cachait rien dessous.
    La vue du couteau glissé dans les
chausses lui tira un soupir excédé.
    — Donnez, dit-il en tendant la
main.
    Justinien lui remit le couteau de
Pibrac. Puis ce fut le tour de l’écu de trois livres. Des bricons dans un bois
ne l’auraient pas mieux dépouillé.
    — Quand vais-je pouvoir…
    Une troisième gifle lui tira cette
fois un cri rageur qui fit reculer le préfet d’un pas. Décidément, ce nouveau
ne lui plaisait pas.
    L’abbé principal chez qui le préfet
le conduisit était rond de partout et affichait un air bonhomme. Sa tonsure
était de la taille d’une écuelle à soupe et ne lui laissait qu’une mince
couronne de cheveux gris. Mis au fait sur la nature de son nez, il s’abstint de
poser des questions et se borna à tester son latin.
    — Récitez le Décalogue.
Répondez.
    Justinien s’exécuta d’une voix
morne.
    — Ce n’est point trop mal.
Maintenant montrez comment vous écrivez.
    Le garçon obéit et écrivit d’une
plume aisée : « Je demande l’autorisation de parler. »
    L’abbé principal le scruta un
instant avant de répondre :
    — Je vous écoute.
    — Je voudrais savoir si
Monsieur le Préfet des mœurs a le droit de déchirer mon livre et de se saisir
de mon couteau et de mon argent.
    — Quel était ce livre ?
Répondez.
    — L’Odyssée de Monsieur Homère.
    — Les livres profanes ne sont
point autorisés, au même titre que les possessions personnelles. Pourquoi les
conserveriez-vous puisque vous n’en aurez point l’usage ? Suivez-moi
maintenant, je vais vous présenter au père Vaillant, votre régent. Et cessez de
pleurer comme un marmot.
    Justinien essuya ses larmes de ses
poings fermés. Le principal nota les phalanges blanches à

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