Dieu et nous seuls pouvons
tête : quatre-vingts livres. Pour pendre : trente
livres, plus les cordes. Pour transporter au bûcher, brûler et jeter les
cendres au vent : soixante-dix livres, plus les frais de fagots et autres
choses utiles à ladite exécution. Pour rompre : cinquante livres, plus dix
pour exposer sur la roue et cinq pour transporter aux fourches patibulaires.
Vos mémoires de frais devront être présentés dans un délai d’une semaine
suivant la prestation… Savez-vous écrire ?
— Oui.
— Parfait. Cela vous évitera
les frais d’un écrivain public… Bien, maintenant apprenez que la nature de
votre office vous fait obligation de vivre hors des murs de notre cité.
— Ahi ! Et où vais-je
habiter ? Dans la nature ?
— Votre logement est prévu à
proximité des fourches patibulaires, qui, elles, s’élèveront bientôt au
carrefour des Quatre-Chemins.
— C’est fort bien dit, mais en
attendant ?
Duvalier eut une moue dubitative.
— Pour ce détail, il vous
faudra consulter Monsieur le Prévôt Foulques. Pour en revenir à notre charte,
sachez également qu’il vous est fait obligation de porter en permanence, même
les jours de fête, un vêtement distinctif qui ne laissera aucune part à la
méprise sur votre état, rassurera les honnêtes gens et servira de terreur aux
malfaiteurs.
Justinien apprit avec accablement
qu’il devrait désormais se vêtir de rouge sang de bœuf, une couleur propre à
donner la migraine.
— Même le chapeau ?
— Même le chapeau. Maintenant,
si vous le voulez bien, nous allons aborder les mesures prises à votre avantage
afin d’adoucir la terrible servitude de votre fonction. Le baron vous exempte
d’aide, de taille, de dîme et de gabelle. Il vous fait également grâce des corvées,
de l’obligation de guet, du droit de moulin et de pressoir et de fournir le
logement aux gens de guerre. Tous les péages et bacs de la baronnie vous sont
ouverts. De plus, et toujours en raison de la nature singulière de votre état,
le baron vous accorde le droit de porter des armes défensives et offensives
pour la sûreté de votre personne.
— J’aurai le droit de porter
l’épée ?
Seuls les gentilshommes avaient ce
privilège.
Duvalier lui remit l’ordonnance au
sceau baronnial, puis continua son énumération.
— Dès l’instant où un condamné
vous sera remis, il vous incombera de vous charger de tout. Ses vêtements vous
appartiendront, exception faite de la chemise qu’il devra conserver pour la
décence. Son corps devra toujours être exposé aux fourches patibulaires et
nulle part ailleurs. Et cela jusqu’à ce que pourriture s’ensuive… Maintenant,
Monsieur l’Exécuteur, voici les strictes conditions dans le cadre desquelles
vous êtes autorisé à lever l’impôt de havage.
Après le droit à porter des armes
comme un noble, voilà qu’il était autorisé à lever un impôt comme un seigneur.
— Cet impôt en nature sera
prélevé trois fois par semaine chez les commerçants, artisans et autres dont
voici la liste exhaustive.
Celle-ci était longue et couvrait
quatre colonnes. Justinien lut que chaque lundi, mercredi et samedi il pourrait
percevoir une poignée sur le blé et tous les autres grains, sur les œufs, quel
que soit le volatile, sur le beurre, les fromages, le pain, les fruits, le
miel, les racines, les volailles, le bois en bûches comme en fagots, les
bougies, le charbon, etc. La perception était double les jours d’exécution, les
jours de marché et les jours fériés.
— Qu’entendez-vous par
« poignée » ?
L’assesseur se permit un sourire
entendu. Cette question révélait qu’en dépit de son air hérisson et absent ce
haillonneux au nez de bois suivait attentivement son exposé.
— Sur le point que vous
évoquez, nous nous sommes inspirés du droit de havage dans le Limousin. Votre
impôt consistera en ce que votre paume pourra contenir ou saisir. Ni plus, ni
moins.
Justinien regardait ses mains d’un
œil perplexe quand l’appariteur se glissa dans l’entrebâillement de la porte.
— Monsieur le Prévôt vous
réclame, dit-il, s’adressant au jeune homme qui nota le voussoiement.
— Je n’ai pas terminé, se
plaignit l’assesseur.
— Monsieur le Prévôt a dit tout
de suite, insista le secrétaire avec l’air et le ton de ceux qui appliquent une
mesure dont ils ignorent la raison.
Le robin s’inclina.
— Fort bien. Ne faisons point
attendre Monsieur le Prévôt.
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