Dieu et nous seuls pouvons
que le baron s’est
entiché de ta personne. Il te veut pour exécuteur. Tu ne le regretteras
pas : cet office confère toutes sortes d’avantages, et non des moindres.
Incrédule, Justinien déplia
fébrilement sa grâce et exhiba le sceau du baron.
— Œillez là, je suis
libre ! Je ne veux pas devenir bourreau ! Je veux devenir… euh…
marin, comme mon père, Jules Pibrac… Je veux tenter ma chance dans le Nouveau
Monde.
— Tout doux, petit imbécile. A
ton âge et dans ta situation, on ne refuse pas un office de cent vingt livres
net par an. Sans parler du reste ! Tiens, cabochard, signe là si tu sais
écrire, sinon dessine une croix.
— Je sais écrire, et sans doute
mieux que vous ! Et je ne signerai jamais cette commission, ce n’est pas
justice ! J’en appelle au conseil du baron !
Avant qu’il eût pu esquisser un
geste, Foulques lui arrachait la grâce des doigts et la déchirait en une
multitude de petits confetti.
— Ainsi tu sais mieux écrire
que moi ! Sais-tu aussi bien déchirer ?
Justinien comprit. Démuni de cette
grâce et avec une épaule flétrie, il devenait quasi impossible de circuler dans
le pays sans risquer de graves ennuis au premier contrôle d’un guet, d’une
milice ou d’une maréchaussée. Un coup d’œil vers le charpentier confirma qu’il
n’avait aucun secours à espérer de ce côté-là. Il se sentit acculé.
Son désarroi attendrit Foulques qui
lui redonna espoir.
— Cette commission est
renouvelable chaque année. Signe toujours et d’ici là je t’aurai trouvé un
remplaçant. Tu as ma parole.
Les larmes aux yeux, Justinien prit
la plume offerte et signa. Maître Calzins renifla avec mépris. Sur la place, un
cheval hennit.
— Fort bien, Monsieur
l’Exécuteur, fort bien. Veuillez maintenant vous faire enseigner l’office de
Monsieur l’Assesseur Duvalier afin qu’il vous donne connaissance des droits et
privilèges de votre charge. Sachez-les par cœur et prescrivez-vous-y car il
sera beaucoup exigé de vous et il vous sera peu pardonné.
— Donner du Monsieur à ce
cuistre ! Vous vous daubez, Monsieur le Prévôt ! s’insurgea le
charpentier, les joues et le front carmin d’indignation.
— Souffrez d’apprendre qu’en
signant cette commission, Maître Pibrac est devenu fonctionnaire de la justice
baronniale. Autrement dit, sa préséance est de quatre points supérieure à la
vôtre. Tout manquement à son égard sera considéré comme gravissime et châtié en
conséquence. Est-ce clair, maître charpentier ?
— Fort clair, Monsieur le
Prévôt, assura Calzins, l’air franc d’un lépreux sans sa clochette.
L’appariteur conduisit Justinien
dans un réduit sans fenêtre qui puait la bougie froide et où paperassaient
trois secrétaires et l’assesseur Duvalier. L’œil cerné, la barbe noircissant
ses joues, le robin avait veillé toute la nuit à la rédaction d’une charte
d’exécuteur de la baronnie de Bellerocaille inspirée à peu de variantes près de
celle de l’exécuteur de Rodez, Maître Pradel. Comme il n’y avait aucun siège,
Justinien resta debout, les bras ballants et les idées en plein charivari.
— Tout d’abord, sachez,
Monsieur l’Exécuteur, que votre lettre de commission ne concerne que les hautes
œuvres, je veux dire par hautes œuvres toute action de justice se pratiquant
sur un échafaud, sur une potence ou un bûcher. Les basses œuvres, dénommées
ainsi parce qu’elles se pratiquent au niveau du sol et parfois à genoux, sont
le monopole exclusif de Bertrand Beaulouis, maître geôlier de la prison
baronniale. Si vous êtes tenu à décapiter, à pendre, à brûler et à rouer, vous
ne pouvez en aucun cas exposer au pilori ou au carcan, comme il vous est
interdit de forcer l’amende, de flétrir, de fustiger, de mutiler, d’appliquer
la question ordinaire comme extraordinaire.
L’assesseur lui remit un inventaire.
— Voici la liste des ustensiles
nécessaires à votre fonction et dont vous devez vous munir dans les plus brefs
délais. Leur entretien vous en incombe. Des inspections auront lieu.
Justinien lut : une hache, une
épée, un billot, une barre à rompre, une croix de Saint-André, un échafaud, des
fourches patibulaires à quatre piliers, du chanvre.
— Nous vous allouons une rente
annuelle de cent vingt livres, poursuivit Duvalier, et chacune de vos
prestations vous sera rémunérée selon les tarifs en vigueur à Rodez. Pour
trancher une
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