Dieu et nous seuls pouvons
vieil homme à la retraite, vivant seul dans un
oustal isolé en compagnie d’un serviteur encore plus âgé que lui.
La trentaine triomphante, plein de
fougue et d’ambition, sûr de sa bonne étoile, Zek était prêt à tout pour
rentrer un jour chez lui, près de Badajoz où son clan nomadisait, la tête haute
et les poches pleines d’or. Avec cinq mille francs-or, il pourrait s’offrir une
excellente roulotte, une paire de chevaux pour la tirer et une belle femme pour
l’occuper. Avec autant d’or il regagnerait le respect des Anciens et peut-être
siégerait-il un jour à leur conseil. Ce fut donc un individu particulièrement
déterminé qui arriva un matin à la croisée du Jugement-Dernier et s’approcha du
portail de pierre.
Casimir faisait le va-et-vient entre
le puits et le potager tandis qu’Hippolyte l’arrosait quand retentit la cloche
de l’entrée. Ils se regardèrent, une lueur d’espoir au fond de l’œil : ils
n’attendaient personne et les rares familiers qui auraient pu venir à
l’improviste savaient que le portail n’était jamais fermé à clef.
Après un moment qui lui parut long,
Zek vit l’un des vantaux s’entrebâiller et la tête chauve d’un septuagénaire
d’aspect plutôt décrépit apparut. Zek lui sourit. Tout s’annonçait bien.
— Que veux-tu ? demanda
sèchement Casimir.
— Je veux parler au señor Pibrac.
Si, comme le lui avaient conté ces
fripons rencontrés au marché de Séverac, l’autre occupant était du même genre,
il pourrait passer de la simple reconnaissance de terrain à l’attaque
proprement dite. Il restait à entrer et à s’assurer qu’ils étaient bien seuls.
— Que lui veux-tu ?
Zek sourit plus largement, dévoilant
deux incisives en or. Il connaissait le sésame. Il se fouilla et montra
l’affichette.
— C’est pour la récompense.
Casimir ouvrit plus grand le
vantail, l’invita à entrer et referma rapidement derrière lui. Zek sursauta en
découvrant un autre vieux qu’il n’avait pu voir de l’extérieur. Il arborait un
revolver à sa ceinture et, pis, il était accompagné d’un molosse au mufle
griffé de cicatrices. Bien que son visage fût buriné par les ans, sa barbe à
deux pointes et sa chevelure étaient d’un noir profond, vierges de tout fil
blanc.
— Je suis Hippolyte Pibrac. Je
t’écoute.
Zek déglutit avec difficulté, moins
sûr de lui tout à coup. Il émanait de ces deux-là quelque chose
d’indéfinissable qui, ajouté à ce haut mur d’enceinte et à ces pertuisanes
dressées vers le ciel, le mit mal à l’aise. Il se pétrifia quand le chien vint
le renifler.
— Alors ? Tu voulais me
parler ?
— Je connais l’escondite de ceux que vous cherchez.
— Le quoi ?
— Je dis que je sais où se
trouve le capitaine Thomas.
— Comment sais-tu que c’est lui
qui est recherché ? Il n’y a aucun nom sur l’affiche.
— Je les ai entendus en parler.
— Que disaient-ils ?
— Bueno, ils parlaient de l’attaque de La Pierre-Creuse, c’est comme ça que
j’ai su qui ils étaient.
Le vieux aux cheveux teints comme
une coquette fit un pas vers lui et le fixa droit dans les yeux. Zek sentit son
souffle contre son visage. Il recula d’un pas et heurta le chauve, qui s’était
placé dans son dos : il sentit son souffle dans son cou. Décidément, rien
ne se passait comme il l’avait imaginé.
— Où sont-ils ?
Il tenta de gagner du temps.
— Holà ! Holà !
Qu’est-ce qui prouve que vous allez me donner la récompense après que vous
aurez l’escondite ?
Trop sûr de lui, il n’avait pas cru
utile de préparer une histoire plausible. Son plan était de s’introduire dans
la place, de s’assurer qu’ils étaient bien seuls, de les neutraliser et de leur
faire raquer leur or : celui de la prime mais aussi le reste, celui qu’ils
devaient cacher quelque part. Zek n’en démordait pas : si on offre cinq
mille, c’est qu’on en a beaucoup plus. Mais il y avait cet énorme chien qui ne
le quittait pas des dents et ce revolver à la ceinture de l’ancien bourreau…
— Et qu’est-ce qui nous prouve
que tu n’es pas un des leurs en train de les trahir ? Ou en train de nous
tendre un piège grossier ?
Zek pâlit, mais cela passa inaperçu
sous son teint olivâtre. Il se souvint de l’expression catastrophée de Thomas
chaque fois qu’il prononçait le nom de Pibrac. Il se souvint aussi de son
« même pour un million je n’irais
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