Dieu et nous seuls pouvons
lumière brillait aux fenêtres de l’oustal. Deux gendarmes
buvaient du café dans la cuisine et un troisième, près de l’âtre, dormait dans
ses coudes. Berthe reposait dans sa chambre, allongée sur son lit, les
chaussures encore aux pieds, les yeux et la bouche ouverts, le corps aussi
raide que celui d’Adèle.
— On était venus pour savoir ce
qu’il fallait faire des corps et on l’a trouvée dans l’escalier morte déjà
depuis un moment. Le docteur a dit que s’est son cœur qui a lâché, expliqua le
brigadier. Comme il n’y avait personne dans l’oustal, le commandant nous a dit
de rester et de vous attendre.
Bouleversé, Hippolyte caressa le
front de la défunte, puis tenta de lui fermer les yeux, sans résultat.
— Vous auriez pu prévenir ma
belle-fille, elle serait venue pour la préparer et la veiller.
— Le commandant a dit qu’il le
ferait, mais nous, on n’a vu personne.
Les joues de Léon s’empourprèrent.
Il aurait aimé être ailleurs.
*
Les obsèques de Berthe, Henri, Adèle
et Antoine eurent lieu le surlendemain dans l’église Saint-Laurent où depuis
deux siècles les Pibrac avaient leurs prie-Dieu réservés (au premier rang
depuis la Révolution, au deuxième sous l’Ancien Régime).
Un privilège qu’ils devaient non pas
à leur état, mais à leur fortune.
Les quatre cercueils furent ensuite
transportés dans la crypte familiale et disposés à la suite des autres, le
dernier étant celui de Clémence, veuve de Justinien V et mère de
Justinien VI et d’Hippolyte, morte d’une angine de poitrine deux ans
auparavant.
Le même jour, en fin de relevée,
Hippolyte retourna à Bellerocaille et se rendit à la gendarmerie pour savoir où
en était l’enquête. Les différentes battues menées contre la bande n’avaient
rien donné sinon que Zéphir et Pompon avaient été retrouvés.
— Mais nous gardons bon espoir.
Au besoin, nous ferons appel à la troupe, lui assura Calmejane en le raccompagnant
à la porte. Que comptez-vous faire de votre petit-fils ?
— Il ira habiter chez son
oncle… en attendant, dit l’ancien exécuteur non sans une réticence dans la
voix.
Le commandant approuva la décision.
L’enfant était trop jeune pour vivre à l’oustal avec pour toute compagnie deux
vieillards et un chien grand comme un poulain.
*
Une semaine était passée depuis la
découverte des rassaïres lorsque le garde champêtre battit le tambour aux
carrefours et sur les places pour annoncer haut et fort que le sieur Hippolyte
Pibrac offrait une récompense de cinq mille francs-or (« Je répète, cinq
mille francs-or ») à quiconque fournirait des informations conduisant à
l’arrestation des assassins de son fils, de sa belle-fille et de son
petit-fils.
Hippolyte ne s’en tint pas là. Il se
rendit à Rodez, siège des rédactions du Journal de l’Aveyron (le journal
des « blancs ») et du Courrier républicain (le journal des
« rouges »), pour faire publier son offre sur une page entière
pendant toute une semaine. Il fit ensuite imprimer dix mille affiches sur
lesquelles la somme était inscrite en chiffres rouges sur fond noir,
compréhensible même par les illettrés, et paya aux Messageries Cabrel une forte
somme pour qu’elles soient remises aux cochers et distribuées à travers le
département et au-delà. Il loua également les services d’un cent de chômeurs
montagnols qui les placardèrent sur les troncs des arbres bordant le grand
chemin traversant la forêt des Palanges.
Si le procédé ne surprit personne
(il avait déjà été utilisé en d’autres circonstances), le montant de la
récompense fit sensation. On pouvait se faire construire un oustal et s’acheter
un grand lopin de terre avec cinq mille francs-or. On pouvait même s’acheter un
très beau cheval pour en faire le tour…
*
La bande se terrait depuis une
semaine dans une bergerie abandonnée du Puech de Saint-Félix quand Thomas
expédia Raflette et Marius à Laissac pour se réapprovisionner en produits de
première nécessité. Lorsqu’ils revinrent, ils rapportaient en plus des provisions
plusieurs exemplaires de l’offre de récompense. Ce fut ainsi que Thomas apprit
l’identité de ses dernières victimes. Ses hommes furent stupéfaits de le voir
blêmir comme jamais. Aucun n’étant rouergat, le nom de Pibrac ne leur évoquait
rien. En revanche pour Thomas, qui était originaire de Roumégoux, il
s’apparentait
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