Dissolution
de
caractère.
« Vous êtes malheureuse ici ? » demandai-je
tranquillement.
Elle haussa les épaules.
« C’est un emploi. Et j’ai un bon maître.
— Alice, si je peux vous aider ou si vous souhaitez me
dire quoi que ce soit, n’hésitez pas à venir me voir. Je n’aimerais pas que
vous couriez le moindre danger.
— Merci monsieur. Je vous en suis très reconnaissante. »
Elle parlait avec circonspection. Elle n’avait aucune raison de me faire
davantage confiance qu’aux moines. Mais peut-être s’ouvrirait-elle davantage à
Mark. Elle retourna auprès de son malade qui s’était mis à s’agiter, menaçant
dans sa fièvre de rejeter les draps et les couvertures.
« Alors bonne nuit, Alice. »
Elle tentait toujours de calmer le novice et ne leva pas la
tête.
« Bonne nuit, monsieur. »
Je repris le corridor glacial. M’arrêtant devant une fenêtre,
je vis que la neige avait enfin cessé. Elle formait un épais tapis ininterrompu,
d’une blancheur éclatante sous la pleine lune. Contemplant ce désert borné par
la masse sombre des antiques bâtiments, je me sentis aussi isolé et coupé du
monde que si je m’étais trouvé dans les cavernes inhabitées de la lune.
10
Q uand je
me réveillai, je ne sus pas tout de suite où j’étais. Une chambre inconnue
était inondée d’une lumière blafarde d’une incroyable blancheur. Puis, me
rappelant tout, je me redressai lentement dans mon lit. Mark, qui s’était déjà
rendormi au moment où j’étais revenu dans la chambre après avoir parlé au
novice, était levé. Il avait regarni le feu et se rasait en culotte devant une
aiguière d’eau fumante. Une épaisse couche de neige, mouchetée d’empreintes de
pattes d’oiseaux, recouvrait tout, réfléchissant un soleil lumineux qui entrait
à flots par la fenêtre.
« Bonjour, monsieur, dit-il en louchant vers son image
renvoyée par un vieux miroir cerclé de cuivre.
— Quelle heure est-il ?
— Neuf heures passées. L’infirmier dit que le petit
déjeuner nous attend dans sa cuisine. Il savait que nous serions fatigués et il
nous a laissés dormir. »
Je rejetai les draps et les couvertures.
« Nous n’avons pas de temps à perdre à dormir ! Dépêche-toi !
Finis de te raser et enfile ta chemise ! » Je commençai à m’habiller.
« Vous n’allez pas vous raser ?
— Ils devront m’accepter tel quel ! » J’étais
préoccupé par la somme de travail qui m’attendait. « Hâte-toi ! Je
veux visiter l’endroit de fond en comble et interroger les obédienciers. Il
faut que tu trouves l’occasion de parler avec la jeune Alice. Ensuite
promène-toi un peu partout et repère des cachettes où l’on aurait pu dissimuler
l’épée. Il nous faut faire le tour de la question le plus vite possible car on
a un nouveau problème à résoudre. » Tout en laçant mes chausses je lui
racontai mon entrevue de la veille avec Whelplay.
« Quelqu’un d’autre a été tué ? Seigneur Jésus !
L’écheveau s’emmêle d’heure en heure.
— Je sais. Et nous avons peu de temps pour le démêler. Allons-y ! »
Nous longeâmes le corridor pour gagner l’infirmerie du frère
Guy. Il était assis à son bureau et scrutait son livre arabe.
« Ah ! vous êtes réveillés », dit-il avec son
accent très doux. Il ferma le livre à contrecœur et nous conduisit dans une
petite pièce où d’autres plantes médicinales étaient suspendues à des crochets.
Nous invitant à nous asseoir à la table, il posa devant nous du pain et du
fromage ainsi qu’un pichet de bière légère.
« Comment va votre malade ? demandai-je tout en
mangeant.
— Un peu mieux ce matin, Dieu merci. La fièvre est
tombée et il dort profondément. L’abbé doit venir lui rendre visite plus tard.
— Dites-moi un peu… Quelle est l’histoire du novice
Whelplay ?
— C’est le fils d’un petit fermier qui vit près de Tonbridge. »
Le frère Guy sourit tristement. « Il fait partie de cette catégorie d’êtres
trop fragiles, trop vulnérables pour ce dur monde. Des êtres de ce genre sont
parfois attirés jusqu’ici… Je crois que c’est l’endroit que Dieu choisit pour
eux.
— Un refuge protégé, loin du monde, c’est cela ?
— Des gens comme le frère Simon servent Dieu et le monde
par leurs prières. N’est-ce pas mieux pour tous que la vie de moqueries et de
mauvais traitements qu’ils subissent souvent à l’extérieur ? Mais en
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