Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
bandes armées lui font subir… et qu’ainsi, bonhomme, philosophe, il puisse dire que si la vie n’est pas toujours un drame, certains font en sorte – et pour leur bon plaisir – qu’elle devienne soudain une drôle de farce !
L’autre me regarda de fort haut, j’étais un trublion… Le sourire à la bouche, il me dit :
— Cela doit faire de vous un homme riche…
— Mais oui, monsieur, lui dis-je. Je me paye en nature, avec le sourire des âmes et les applaudissements du public.
L’autre se redresse et monte le ton :
— Mais je redemande, quel est votre nom ? Quand on a tant de choses à dire et qu’on souhaite se faire entendre, on se présente !
Ce rusé critique voulait certainement se saisir de mon nom pour le torturer de sa plume, lui jeter un sort, comme font les sorciers en traversant d’une aiguille leurs poupées de chiffon. Mais je n’allais pas m’offrir en sacrifice :
— Je vous le répète, je suis un représentant du peuple, comme lui, je n’ai pas de naissance. Je suis aussi dénué d’origine qu’un enfant trouvé ou qu’une fille perdue. Et comme le tailleur de pierre qui fait sourire la ville en imprimant le visage du bedeau sur la face de sa gargouille, je reste un illustre inconnu ! Serviteur, monsieur !
— Serviteur, me dit l’autre, c’est bien, vous avez assez plaidé et nous verrons qui des deux aura le dernier mot. Je crains, hélas, monsieur le comique, que vos paroles s’effacent et que mes écrits demeurent. Passez une bonne nuit, buvez, amusez-vous, riez. Il sera bien temps, demain, de prendre les choses un peu plus au sérieux.
“Et l’importun, poursuit Molière, nous quitta à l’instant où un homme valeureux, Hercule, revenait prendre sa place et nous servir à boire. Le lendemain, je pus lire, comme tant d’autres, ce vilain placard que Paris se passe depuis ce matin de la main à la main. Il paraît que les salons à la mode sont très friands des chroniques de notre triste sire. Et plus d’un, hélas, parmi les admirateurs de la veille, en lisant ce torchon, révise aujourd’hui son jugement. Cela n’est rien d’autre que l’infidélité de l’esprit. Le cœur nous entraîne, mais la tête nous gouverne… nous autres Parisiens.”
L’envoi…
— Mais voici le texte, nous dit Molière. Je vous en fais la lecture :
Rodrigue l’imposteur, par monsieur Philémon Janisse de La Ravoie
La nouveauté est toujours attirante. L’homme est inconstant et sa nature instinctive est d’aspirer au changement. Voilà sans doute, en peu de mots, ce qui expliquerait le succès public emporté hier au soir, en l’hôtel de Bourgogne, par un jeune débutant dont nous ne connaissons que le prénom : Hercule.
Le comédien en titre qui devait interpréter Rodrigue devant le tout-Paris, et défendre le génie de Corneille, dut donner subitement sadémission. Du moins, jusqu’à retrouver, bientôt nous l’espérons, l’usage de la parole… Souffrant à en mourir, il ne pouvait ainsi, mal portant, monter sur scène.
Qu’à cela ne tienne !
Bondissant du parterre, soutenu dans cette ascension extraordinaire par la main – ou plutôt l’épée – d’un aventurier, un remplaçant de dernière minute se portait volontaire. Ce jeune homme, parce qu’il connaissait le texte du drame, pensait avoir compris la pièce… il était certain – sans l’avoir jamais répétée, sans correction, sans formation – de pouvoir la jouer et mieux encore, tant qu’à faire, que ce malheureux dont la faiblesse allait lui servir de marchepied.
Notre intervenant si bien prénommé devait en effet accomplir quelque chose comme un miracle : montrer que l’Art, si mal jugé depuis l’origine, vit de toutes ses forces dans la création à l’état sauvage, et croît au soleil, en se passant aisément de la main de l’ouvrier.
Attention… Cela n’est rien de moins qu’une révolution ! Désormais la gloire et le prestige sont offerts à chacun, au premier d’entre nous. Ornez du plus beau cadre cette pochade que vous fîtes un dimanche en une heure de temps, par distraction et parce que vous avez, dit-on, un joli coup de pinceau. Elle va vous rendre riche et célèbre !
Hélas, quelle méprise… Il suffit de porter le prénom d’un demi-dieu pour se croire sorti de la cuisse de Jupiter. On ne peut en vouloir à ceux qui se laissèrent émouvoir. Nous rêvons tous de sortir du nombre, d’être remarqués par l’accomplissement d’une
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