Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
j’ai tant aimé. Il s’est donné la mort en prison, la veille de son exécution. J’allais le faire libérer. Mais je suis venue trop tard. Il était poète . Vous lui ressemblez un peu. Vous avez sa force et son innocence, sa grâce et sa violence.
Desdémone lui ouvre la porte, lui tend la main, l’invite à monter.
Hercule hésite.
Il a certainement reconnu cette femme, cette Italienne. Celle-ci insiste, en gardant la main tendue :
— Venez.
Hercule regarde au loin. Il voit les gardes postés aux arrières, présences menaçantes ou rassurantes, selon la position où l’on se place.
— Vous êtes venu m’enlever ? demande-t-il.
— Je passais sur votre chemin. Dieu m’a guidée.
— Vous êtes donc son envoyée… Et j’imagine, poursuit le jeune homme d’une voix railleuse, en désignant l’escorte, que ces hommes vous gardent du Mal.
— Mes ennemis sont puissants. Ils veulent m’assassiner. Je me protège.
— Si je comprends bien, vous suivre, ce n’est pas pour autant renoncer à une fin certaine.
— On meurt tous les jours . Pas à pas. Autant partir en beauté, auprès d’un être qui vous aime plutôt que seul et sans joie, dans le silence et la nuit.
Ces derniers mots finissent par convaincre Hercule.
Il descend de son parapet et rentre dans la voiture.
La tentatrice ne peut rien cacher à don Juan
Quelques instants plus tard, je suis revenu au cabaret du Chat qui parle où m’attend don Juan de Tolède. Il est en compagnie de Molière qui se remet des événements en dégustant (fin breuvage, excellent remède offert par le mécène aventureux) un vin de la comète.
Avant que je puisse les rejoindre, Amadéor s’est levé. Il vient vers moi, m’entraîne avec lui à l’écart. Il me tend une chaise. Nous sommes près d’une fenêtre, dans un coin retiré du cabaret.
— Alors ? me demande-t-il.
— Hélas, quand je l’ai rejoint, elle arrivait.
— Pour le prendre à son bord et l’emmener chez elle.
— Oui. Je n’ai rien pu faire, si ce n’est entendre la conversation qu’ont tenue un jeune homme suicidaire et une séduisante empoisonneuse. La garde qui se tenait dans l’ombre ne m’aurait pas laissé faire un pas de plus si elle m’avait vu approcher.
— Cette diablesse a de la suite dans les idées. Elle a dû se dire que ce petit mot que je lui avais fait parvenir n’était qu’un piège. Cela pourtant ne diminua en rien ses sentiments… plutôt que d’attendre (et elle ne peut se le permettre), elle prit les choses en main. Maintenant ou jamais est désormais sa devise.
— Mais comment avez-vous su pour la comédienne ?
— Je vous le répète, j’ai bien vu comme Desdémone regardait Hercule hier au soir, son héros , et j’ai bien vu également (rien ne m’échappe quand je suis en piste) comme elle jalousait cette rivale, Chimène, qui venait de lui voler son bonheur, en prenant devant elle la main du Cid . Seulement, maintenant, le jaloux, c’est moi. Je croyais l’atteindre enfin, mais elle m’échappe… à moins d’un miracle.
— Ainsi, malgré votre rendez-vous, ce dîner aux chandelles, vous renoncez ?
— Loin de moi l’idée : je crois aux miracles ! Quand ils ne viennent pas du Ciel, il suffit de les provoquer. Impossible estexclu de mon vocabulaire… Je suis un homme d’ouverture. La partie est remise. Il faut juste qu’on me laisse le temps d’emporter son baiser d’adieu avant que le dernier grain du sablier ne tombe au sommet de la pyramide.
L’aventurier se lève.
Il reprend en regardant par la fenêtre :
— Au fond, les choses sont bien faites. Je ne crois pas seulement aux miracles, mais encore et bien plus à l’Amour. Du reste, pas de miracle sans amour. L’amour est ma raison de vivre. S’il s’enfuit par là, c’est qu’il nous attend ailleurs. Il est partout, comme le ciel, comme la lumière… Pour le voir, pour le sentir, il suffit d’ouvrir les yeux et de ne pas fermer son cœur. Je puis donc dire à cette belle Margaux, à cette Alouette que j’entends apprivoiser : Mademoiselle, oublions les autres, le monde et ses tentations, je suis tout à vous.
Don Juan de Tolède me fait signe de le suivre.
— Venez, dit-il, allons retrouver Molière.
Rodrigue l’imposteur
Nous traversons la salle.
Le comédien tient un verre dans une main et une plume dans l’autre.
L’aventurier nous sert à boire, en reprenant la parole :
— En habile et fin voleur, je vois les
Weitere Kostenlose Bücher