Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
prouesse. Oui, un héros sommeille en nous. À travers ce jeune homme nous crûmes vivre un rêve, quand nous fûmes victimes d’une illusion.
Le critique, qui, par vocation, doit garder en toutes circonstances une distance nécessaire et se prémunir ainsi des emportements du cœur qui faussent son jugement, ce critique doit faire éclater la vérité, au risque d’être incompris.
Nous n’avons vu hier soir qu’un jeune homme impétueux, insoumis aux règles élémentaires du théâtre, refaisant la pièce, marchant avec insolence sur la tête de Monsieur Corneille, dans le seul but de se mettre en avant.
Dans ce jeu instinctif, animal, débridé, point de phrasé, point de rythme, point de hauteur, point de sensibilité… La tragédie est un art supérieur, elle demande de la mesure, de la justesse. Cela, la grande Chimène ne l’a pas oublié.
Elle rachète par son brio et son beau métier toutes les erreurs de son interlocuteur.
Nous devons lui rendre un véritable hommage.
Gageons qu’une fois encore, le temps fera justice… que celle qui a tant mérité l’ovation ne tardera plus à être consacrée et que l’imposteur n’ira pas plus loin.
… Et La riposte
— Maintenant, d’Artagnan, ouvrez bien vos oreilles, dit le don Juan, voici la réponse de Molière, une réponse qu’il vient juste de terminer, de sa plus belle plume.
Mais avant que notre don Juan n’en fasse la lecture, Molière voulut nous préciser son intention :
— Maints papiers, maints prosateurs ont vanté à juste raison les qualités d’Hercule. Je ne voulus pas en rajouter ou les paraphraser. Aussi, c’est à notre critique et à ses semblables que je voulus directement adresser mon billet d’humeur. Monsieur de Tolède, dit Molière en tendant la main vers l’aventurier, je vous laisse poursuivre.
— Voici, dit le séducteur…
Lettre ouverte au critique monsieur Philémon Janisse de La Ravoie ainsi qu’à tous les faiseurs de papiers de sa tribu.
Le poète écrit avec la plume d’un cygne ou d’un coq. Ses mots sont une musique, sa voix est un chant. Le critique juge avec la plume du corbeau. Cet oiseau, pourtant respectable, lui ressemble sur l’essentiel. Son noir plumage absorbe la lumière, au lieu de la réfléchir, et son long bec qui se repaît de vermine ne sait que croasser.
On le voit descendre sur les champs de bataille, quand les vainqueurs s’éloignent et que les vaincus demeurent. Parmi ces soldats de toutes origines, de braves soldats sans nom fixent le ciel d’un dernier regard. Après avoir donné leur vie pour leur pays ou leur cause, ils abreuvent la terre de leur sang. Personne ne viendra les enterrer. Mais le corbeau, profitant de leur immobilité, peut encore les défigurer. Cet animal n’est pas un chasseur, il ne se bat pas pour vivre, il se nourrit de la mort, son festin est celui des lâches.
Certes, le corbeau est utile… Mais qu’il se garde bien d’annoncer l’aurore, comme le Coq, ou de chanter les derniers feux du jour, comme le Cygne.
Ces tâches ne sont pas destinées aux ouvriers de la nuit.
Oui, les esprits novateurs auront toujours devant eux les gardiens de la Loi. Les premiers viennent changer la face du monde, les seconds défendent de vieux principes.
Dans cette dispute qui les oppose, chaque homme est appelé à choisir son camp.
Le mien ne changera pas.
Vive le théâtre, vive Hercule et mort aux cochons !
— Bravo ! dit don Juan, voilà qui est parlé.
— Il ne me reste plus qu’à signer, dit Molière.
— Gardez-vous ! s’exclame don Juan de Tolède.
— Certes, reprend Molière, je dois rester mystérieux, je ne vais pas me démasquer maintenant, bien que cela soit tentant… voir son nom faire le tour de Paris, pour défendre une cause juste et noble, pour porter une attaque à de grands hypocrites, à ces parasites de l’art que sont les critiques !
— Et vous faire connaître comme pamphlétaire… Ah ! mon ami, dit don Juan, vous méritez mieux, vous êtes plus grand que cela. Soyez le frère des hommes plutôt que l’ennemi des imbéciles. Soit, il faut signer ce billet, mais trouvez un pseudonyme. Préservez Molière et prenez un casque pour la joute… un nom de guerre.
— Valataire ! s’exclame Molière.
— Vendu ! dit en riant don Juan de Tolède. Maintenant messieurs Poquelin, Valataire et Molière, nous avons un service à vous demander. Et cette fois, c’est à l’enfant des muses que nous nous
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