Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
votre côté, sans concerter personne…
— On m’informe, on me charge des basses besognes, mais comme vous dites, je suis une ombre. Une ombre obéit au doigt et à l’œil, approuve, encourage, mais une ombre ne pense pas par elle-même. Si j’outrepasse mes fonctions, il faut que cela soit fait en douce. Je prouve ma valeur par les faits, et alors il n’y aura plus à discuter. Allons, réfléchissez, si nous parvenons à nos fins, nous serons deux à nous partager le butin, au pire, trois…
— Trois ?
— J’y viens. Nous avons découvert que l’empoisonneuse, une Italienne, qui devait séduire, puis réduire au silence Son Éminence,nous a roulés dans la farine. Cette femme, restez assis, fut la maîtresse de Mazarin. Un amour de jeunesse.
— Charmant !
— Et cette maîtresse qui a du sang sous les ongles a gardé longtemps avec elle, plus de seize années, un secret qu’elle vient juste de révéler à notre cardinal. Ce secret de poids n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Nous avions un agent sur place. Nous savons tout, enfin presque tout. Son Éminence a une fille.
— Une fille ?
— Une fille ! D’ailleurs, la fille est aujourd’hui une femme. Et la femme vit à Paris. Hélas, nous ignorons les détails. Hélas ou tant mieux. Ces zones d’ombre vont nous permettre de rentrer dans la partie et de tirer notre épingle du jeu. L’empoisonneuse a refusé – elle l’affirma lors de cette conversation que nous avons pu surprendre – de donner au père le nom de l’enfant. Elle veut encore et pour quelques jours, garder le silence. Cette Madone du crime est en vérité condamnée. Par un poison. Oui, monsieur, un poison insidieux qui progresse goutte à goutte dans ses veines et remonte lentement vers son cœur. À sa mort, une lettre parviendra entre les mains de Mazarin. Le nom et la situation de l’héritière y seront indiqués noir sur blanc. Nous devons agir dans l’urgence, avant ce décret de la Providence. Mazarin sait qu’il a une héritière . Mais cette héritière peut être n’importe qui. Elle pourrait elle-même venir se présenter à son père… Elle aurait avec elle un simple billet sur lequel serait écrit Cette jeune femme est votre enfant, aimez-la comme je vous ai aimé … pour que le papier paraisse authentique et ne laisse place à aucun doute, il faudrait évidemment que le cardinal puisse reconnaître l’écriture de son ancienne maîtresse. Il nous suffirait de trouver un excellent copiste. Je me charge de présenter un échantillon à l’orfèvre, où soit inscrite la calligraphie de l’Italienne, en guise de modèle… Certes, les retrouvailles seraient des adieux, une fois la fille dans les bras de papa, notre Mazarin verra comme le bonheur, ici-bas, est aussi soudain qu’éphémère.
— Je vois. Et moi, vous voulez que je vous trouve la fille, n’est-ce pas ?
— Eh bien, je crois que vous connaissez du monde, un peu partout. Des gens et des femmes de toutes sortes. Évidemment, on ne peut prendre n’importe qui. Il faut que la donzelle soitjeune, qu’elle paraisse avoir entre seize et dix-sept ans, et surtout, surtout, il faudrait qu’elle soit assez déterminée ou assez cupide, sans doute les deux, pour accomplir, le moment venu, le geste décisif… Qu’elle égorge avec un stylet ou qu’elle le terrasse avec une potion, je m’en moque comme un âne d’un coup de chapeau.
Monsieur de La Veyre semble tout disposé à y répondre
Un long temps de silence suit la proposition qui vient d’être faite.
Philippe de La Veyre réfléchit. Mais il réfléchit promptement. En vérité, tout concorde. Et tout se met en place dans sa tête… à la vitesse de la lumière.
— J’ai mon idée, dit-il, et je crois qu’elle n’est pas mauvaise.
— Je vous écoute.
— Voilà. J’étais hier, en pleine journée, au cabaret de La Tour d’Auvergne . J’y ai vu monsieur de Gaillusac, votre maître, pauvre boniface, y perdre au jeu une forte somme d’argent. Il s’était laissé berner. Un certain don Juan de Tolède l’a essoré jusqu’à sa chemise. Cet homme n’était pas tout à fait seul, il avait une complice, qui intervint in fine … Une jeune frondeuse, qui doit avoir l’âge souhaité, habillée comme un homme, armée de pied en cap. Elle s’est amusée, ensuite, une fois votre maître reparti vaincu, à jouer le fruit du pillage, sur quelques lancers de couteau, avec son compagnon l’aventurier. Elle a
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