Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
noir. Elle a commandé le départ de sa voiture. Sa garde ne l’accompagne pas. Elle est seule.
Suivons-la.
Paris est encore en plein sommeil. Quelques ateliers ouvrent leurs portes de service, les derniers noceurs rentrent chez eux, figures vacillantes. Le carrosse passe les remparts de la Ville. La route est paisible, sans danger. Enfin, après moins d’une heure de voyage, la voiture se range entre plusieurs arbres en bordure d’un petit chemin de traverse, perdu en pleine nature.
Desdémone s’approche d’une chapelle en ruine. Les derniers pèlerins à se présenter dans le lieu saint sont des oiseaux de nuit, ayant fait leurs nids entre les décombres. Le soleil n’est pas encore levé. La lune paraît immense.
Voilà presque cent ans que plus personne n’a entendu dans cette église au toit abattu, aux murs recouverts de lierre, résonner le carillon d’une cloche, la liturgie d’une messe. Elle fut brûlée autemps des guerres de religion. Les pierres, qui protègent ou qui emprisonnent les hommes, abritent aussi leurs mémoires. Celles-ci gardent sans doute dans leur ventre quelques cris enfermés, le cri des martyrs. Pourtant, une paix étrange règne sur ces lieux désolés.
Desdémone n’y est pas insensible.
Elle vient rencontrer quelqu’un, elle ne s’attendait pas à se retrouver face à Dieu.
Il lui semble qu’on la regarde, qu’on la frôle, mais ce regard n’a rien de sévère, et ces souffles qui l’effleurent ne la font pas trembler. Elle tourne sur elle-même, s’attendant presque à voir une apparition, à entendre une voix. Mais non, ce n’est que le vent qui se déplace autour d’elle, tourbillonnant à l’intérieur du clocher décapité, glissant sur les dalles, balayant la poussière. Les branches des arbres s’agitent doucement, le feuillage vibre dans l’air.
Ces yeux radieux qui l’observent de là-haut du nord au sud, d’est en ouest, ce sont des points de lumière, ces étoiles que le soleil va bientôt faire disparaître. La présence est partout, à la fois accueillante et rassurante, protectrice, aimante.
Une chouette, un peu plus loin, pousse son cri, Desdémone ne s’en effraie pas, la nuit est son domaine. Cette église est faite pour elle. Ici, les prières que l’on adresse au ciel, dans la solitude et le bruissement de la nature, sont emportées par un courant d’air et montent dans le creux d’une spirale.
Desdémone tombe à genoux. C’est la deuxième fois de sa vie qu’elle s’abandonne ainsi. La première fois, c’était aussi en pleine campagne, pour accoucher de sa fille. Aujourd’hui, c’est pour délivrer son âme. Pourtant, elle ne ressent pas le besoin de demander pardon. Dans l’humilité, dans l’humiliation, elle reste fière. Ce qu’elle ressent, c’est une communion étrange. Une part d’elle est déjà de l’autre côté, et l’autre côté entre dans ce monde, pour l’envahir de lumière.
Le Tout-Puissant va-t-il lui parler ?
Non… cette lueur tombant à ses pieds, ce n’est que le retour du soleil qui répand ses rayons sur la pierre. Le coq chante.
Le jour se lève.
L’Italienne se redresse.
Un cheval hennit.
Desdémone sort de l’église.
La cavalière qui se trouve face à elle est manifestement troublée.
Elle n’a jamais vu personne ici, à cette heure si matinale. C’est pour cela qu’elle vient. Pour être seule. Cet endroit, elle s’y sent bien. Et aujourd’hui, quelqu’un, une inconnue vient troubler sa paix. Une femme. Une bien belle femme.
Celle-ci prend la parole.
— On m’avait dit où vous trouver, je suis venue…
Cette cavalière chaussée de larges bottes remontées au-dessus du genou, cette amazone coiffée d’un feutre empanaché, défendue par une paire de pistolets, c’est Margaux, dite l’Alouette, la protégée de Lanteaume.
Mère et fille
Qui a bien pu avertir cette femme ? se demande la frondeuse. Qui, sinon quelqu’un de la bande, personne d’autre ne sait que je viens parfois ici, de bonne heure . Malgré son interrogation, elle n’a pas même envie de savoir. Mieux vaut en venir au vif.
— Qui vous envoie ? demande-t-elle.
Desdémone sent son cœur battre à tout rompre. Mon Dieu, c’est vrai qu’elle est belle !
— Votre mère.
— Ma mère est morte, rétorque froidement la cavalière en descendant de cheval.
— En effet, dit l’Italienne, qui préfère mentir.
— Il y a bien longtemps, reprend la jeune frondeuse.
Desdémone
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