Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
a songé à se faire connaître, elle désirait le faire. Mais ses forces l’abandonnent. Elle n’en a plus le courage.
— Non, il y a peu. Elle avait perdu votre trace avant de la retrouver. Je l’ai bien connue, elle m’a chargée de vous rencontrer et de vous remettre en son nom une lettre.
Desdémone tend une enveloppe, mais Margaux ne la prend pas.
— Une lettre ? Après tant de silence, tant d’absence, une lettre…
— Elle aurait voulu vous apporter bien d’autres choses encore, mais la vie…
— La vie, chère madame, je l’ai vécue sans elle. Cette femme m’a abandonnée à la naissance. Je ne connais ni sa voix ni son visage.
— Prenez cependant cette lettre et ne l’ouvrez pas avant le 27 juin, jour de votre anniversaire. C’est sa dernière volonté.
— Sa dernière volonté, dites-vous ? Quelle ironie ! Donnez-moi une seule raison de ne pas la lire maintenant ou de la déchirer devant vous.
— J’ai juré sur son lit de mort que cette volonté serait respectée, comme j’ai juré de vous remettre ce courrier.
Margaux finit par prendre la lettre, d’un geste brusque. Elle la passe sous son pourpoint.
— Promettez-vous… ? demande Desdémone sans pouvoir achever sa phrase, la gorge nouée.
— Je promets. De quoi est-elle morte ? De chagrin ? demande l ’ Alouette avec une ironie cruelle.
— Une maladie.
La frondeuse remonte à cheval.
Ce n’est pas aujourd’hui qu’elle regardera le lever du jour en haut de cette chapelle en ruines.
Elle tire les rênes de sa monture et demande encore :
— Connaissez-vous mon véritable nom ?
— Je ne peux vous le dire, cette lettre vous l’apprendra peut-être.
— Au moins un prénom… Aujourd’hui c’est Margaux, pour les sœurs au couvent, c’était Clara…
— Marie… L’anagramme du verbe aimer.
— Un prénom français…
— Votre grand-mère était originaire de Lyon.
— Eh bien ! Voilà un début de réponse… J’imagine que j’aurai droit à la suite dans quelques jours… Adieu, madame.
La frondeuse s’en va au grand galop.
Desdémone reste seule.
Tous ses souvenirs remontent de l’abîme, comme sous l’impulsion d’une lame de fond. Elle étouffe un cri dans sa main et retombe à genoux, dans l’herbe, cette fois-ci.
La froideur de cette fille l’a atteinte de plein fouet.
Elle est partie sans un geste d’adieu, sans comprendre, sans un mot pour cette inconnue.
Oui, Margaux est partie avec brutalité, sans rien exprimer.
Ce n’est que plus tard, en s’enfonçant dans les bois, alors que son cheval l’emporte à la vitesse du vent, qu’elle peut laisser éclater ses sanglots en serrant, de sa main libre, une lettre contre son cœur.
Chapitre sept
Le médaillon d’Hercule semble venir de loin
Château de Saint-Germain, Quatrième jour d’occupation
À vue d’oiseau
Une guerre, fratricide ou non, commence souvent, telle une kermesse au printemps, dans la fanfare et la liesse. L’ennemi qui ne peut avoir le soutien du Ciel, va sentir ce qu’il en coûte de déclencher la colère des hommes. Les héros vont chasser les tyrans . On va faire justice .
Les premiers boulets, les premières balles, salués le chapeau à la main, sont tirés au milieu des flûtes et des violons. On les accueille bravement, en exposant sa tête, on les expédie le cœur battant, une chanson sur les lèvres, une flamme au fond des yeux.
La guerre vous invite à la servir, en flattant vos espoirs, comme une courtisane croisant votre chemin pourrait d’un regard mettre vos sens en ébullition. Il fait nuit noire. Ivre de vin, heureux comme un prince, fier comme Artaban, vous suivez cette femme fardée qui vous fait enlever. La porte se referme derrière vous. Les ébats se font dans les ténèbres. Vous êtes transporté aux Champs-Élysées, en carrosse d’argent. Mais au matin, la lumière met tout à nu : ce palais où vous avez triomphé de la belle est un grabat aux murs couverts de lèpres, cette robe jetée au bas du lit une loque criarde, et quant au visage que vous n’avez fait quedeviner dans l’ombre, les rayons du jour vous le montrent sans pudeur… le maquillage a fondu et la laideur se découvre, vous soulevant la poitrine.
Condé et ses hommes ont fermé les routes.
Le blocus a commencé.
Les Parisiens sont unis dans la fraternité. Sous la conduite du généralissime, monsieur le prince de Conti, les frondeurs empanachés sont partout, au centre
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