Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
des rassemblements, au-devant des lignes. Donnant des ordres, souriant à tous, et plus particulièrement aux dames, ne sont-ils pas admirables en habit de guerre ? Le pourpoint gris, panache au vent, les pistolets d’arçon rangés en sautoir sous l’écharpe nouée à la taille, l’arquebuse couchée le long de la selle, crosse en l’air. L’on sourit d’aise et d’orgueil d’être dirigés par de si nobles figures passant là, au plus près de la foule piétonne, l’épée de commandement retenue dans les boucles d’argent d’un large baudrier de cuir, les bottes à talons rouges collées au flanc de leur cheval de monte à large encolure, crin peigné et tressé. Plus ils sont jeunes, plus ils veulent en découdre, on le sent. Ces va-t-en-guerre se battront aux avant-postes pour se tailler la part du lion. Car si l’on fait chorus contre le cardinal, chacun rêve à sa gloire personnelle. On veut être le plus brave, le mieux aimé de tous.
Les femmes de cour elles-mêmes entrent dans l’arène. Soucieuses de sauvegarder leurs rôles d’égéries en titre et de trôner dans les rues soulevées par l’appel aux armes comme dans les salons en vogue, ces fines guêpes se sont faites amazones, muses guerrières. Certaines, parmi les plus élégantes et les plus renommées, n’ont pas hésité à troquer leurs robes de satin pour un pourpoint de buffle, leurs rivières de diamants contre une paire de dagues. Cela ne les empêche pas de garder leurs grands airs. Bien au contraire. D’ailleurs, en cette première quinzaine de janvier, c’est carnaval. On se déguise, on s’amuse, on se prend au jeu. Après la fête des rois vient celle des fous.
Après tout, que Condé ravage la campagne avec ses brutes sanguinaires… Qu’il lance ses tisons sur le toit des chaumières, qu’il jette à la Seine, dans l’eau glacée, les porteurs de vivres,cela se passe de l’autre côté. Loin des yeux, loin du cœur. Toutes ces terreurs, présentes et à venir, mettront du temps à entamer le moral des assiégés. Pour l’heure, après s’être remis de la fuite du roi, avant de faire face à la crue prochaine de la rivière la Seine, qui d’ici peu débordera de son lit, inondera le faubourg Saint-Antoine, l’île Saint-Louis, le Marais, on s’organise, on se serre les coudes, on liste ses réserves. D’ailleurs, les Parisiens ne sont pas nés de la dernière pluie. Les sièges, les famines, les murs de cadavres, les cloches sonnant le tocsin, ils connaissent. Aguerris, ils ont du nez. Ils sentent la menace dans l’air avant même qu’elle se profile à l’horizon. Dehors, les affidés du Mazarin tiennent le périmètre, mais voilà beau temps qu’au-dedans les citadins ont pris leurs précautions. Les caves sont pleines, les celliers regorgent de provisions, les coffres restent bien cachés.
Au château de Saint-Germain, les portes s’ouvrent et se referment. Les allées et venues sont incessantes, les visites et les requêtes se multiplient. Les persécutés viennent demander asile et protections, les frondeurs exigent le retour du roi.
Les émissaires du Parlement sont écoutés poliment et reçus avec civilité, mais une fois entendus, on leur répond avec fermeté et on ne les retient pas une minute de plus.
Les ordres de mission partent en tous coins.
Les hommes de guerre arrivent à grand galop et rentrent au pas de charge. Sans prendre le temps de s’asseoir, ils boivent à la réception leur verre de vin d’un seul trait, en claquant la langue. Le cardinal les reçoit entre deux portes, l’entretien ne dure que quelques minutes. Renseignés sur la marche à suivre, le message délivré, la consigne reçue, ces cavaliers font demi-tour sans s’étendre en de pompeuses révérences, dévisagent au passage les femmes de la cour avec impudeur et gourmandise, ignorant les courtisans, mais saluant d’Artagnan quand ils ont le privilège de le croiser. Enfin, après avoir vidé un deuxième gobelet avant de remonter en selle, ils repartent aussi vite qu’ils sont venus, dans le froid de l’hiver, les rênes dans une main, un pistolet dans l’autre… Une embuscade ne prévient pas.
Le cardinal de Mazarin dort comme un lièvre. Si son corps a besoin de repos, son esprit reste en éveil. Il faut être partout. Cette guerre civile se mène jusque de l’autre côté des frontières. Car comme pour toute guerre, il faut de l’or, il faut des hommes. D’un côté ou de
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