Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
bâton n’est plus qu’un manche. Je le jette et je prends la fuite. On me court après, en sifflant, en huant. En butant sur une racine, je trébuche, je roule dans un devers. Quand je me redresse, les autres m’ont rattrapé. Ils me rouent de coups, à tour de rôle.
Ma chemise est déchirée. L’un des brigands en me tenant par le col, voit le médaillon apparaître.
— La belle pièce ! dit-il. C’est un vrai trésor, ta trouvaille, Main-gauche ! Il est ferré comme un bourgeois ! Je vais me faire bourreau ! Le sang, ça vaut de l’or !
— N’y touchez pas ! dis-je, en retenant ma médaille. C’est sacré… La Vierge me protège.
— La belle farce ! répond l’homme en m’arrachant le médaillon. Qu’elle vienne donc, ta Vierge ! On lui fera voir le loup !
On me ligote. On me traîne par les pieds jusqu’au centre d’une petite clairière. On tranche mes liens et l’on pose ma main sur un tronc d’arbre couché en long. Deux lames d’épée pointées de part et d’autres de mon visage m’interdisent de bouger. Au premier mouvement de révolte, j’y laisserai ma vie. Un troisième homme s’avance, le sourire aux lèvres, une longue rapière à la main.
— Je te préviens, me dit-il, tu vas le sentir passer ! Va falloir s’y reprendre à plusieurs fois. C’est pas vraiment l’instrument approprié.
— Un coup sec ! conseille l’un de ses comparses.
— Aussi fort que tu peux ! lui précise-t-on encore.
Mais au moment où l’homme lève son bras, une détonation retentit. L’exécuteur s’effondre derrière moi, la poitrine fumante.
Un cavalier a fait feu.
Ce cavalier, personne ne l’a vu arriver, personne ne l’a entendu venir.
C’est la panique.
Les brigands réagissent dans l’instant, comme ils peuvent. Personne ne songe à me garder en otage, on se tourne vers l’agresseur. L’inconnu n’a ni le temps de se présenter, ni celui de s’expliquer. On se précipite sur lui, à couteaux tirés. Il reste quatre homme valides et Main-gauche.
Je ramasse l’épée de mon exécuteur.
Voyant cela, l’un des truands se tourne vers moi. Il veut m’assommer, mais je suis plus rapide et je parviens à éviter son coup de massue, et sans réfléchir, par instinct, je porte ma riposte, la pointe en avant. Elle traverse d’outre en outre. L’homme va mourir. Il s’agrippe à moi, les yeux écarquillés, la main crispée sur mon bras, le sang lui sortant de la bouche, avant de ne plus pouvoir maintenir son étreinte, de glisser puis de s’écrouler pour de bon.
Pendant ce temps le cavalier a sorti un nouveau pistolet, a brûlé un second canon. Un autre truand tombe au sol, un trou au milieu du crâne. Le cavalier saute de cheval, son épée jaillit du fourreau. Il glisse entre les lames, esquive les coups de tailles, déjoue les feintes, pare les coups de pointe. Sa large cape le recouvre en grande partie. Je ne distingue pas son visage, pris dans l’ombre de son couvre-chef. Son épée se meut avec vigueur et précision. Il n’a pas attendu qu’on vienne le chercher, il s’est porté au-devant des autres, en les prenant de court. L’affrontement est rapide, brutal, sanglant.
Après cette estocade portée au hasard, je suis resté immobile, pétrifié. Le cavalier n’a pas reçu une seule blessure. Sa cape est couverte de taches sanglantes. Autour de lui, dans ce bois redevenu silencieux, deux blessés graves tentent de se redresser. Ils ne font pas deux pas qu’ils retombent à terre. Ils rampent en laissant des traînées de sang. Le cavalier plante son épée au sol et sort une dague. Sans hésiter, il va les rejoindre. Sans un mot, sans un geste de pitié, il les saisit l’un après l’autre par les cheveux, leur relève la tête et leur tranche la gorge. La chose faite, il va fouiller les cadavres, reprend mon médaillon et finit par trouver une bourse. Il l’empoche.
Main-gauche a disparu.
Le cavalier reste un instant aux aguets, comme s’il pouvait flairer l’odeur de ce fuyard et le suivre à la trace. Mais il finit par ranger son arme et va reprendre sa rapière pour la ranger au fourreau.
L’inconnu s’avance vers moi.
Il voit cet homme tombé à mes pieds. Le seul qu’il n’aura pas vaincu de sa main.
— Tu t’es bien défendu, me dit-il, en me rendant mon colifichet.
— Sans vous, dis-je…
— On t’enlevait une patte. Un homme a besoin de ses deux mains. Pour lutter. Pour aimer.
— Je vous en prie, je ne veux pas rentrer
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