Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
cage.
Pour moi cette cage est un paradis.
C’est le foyer du bonheur.
La grille est ouverte.
Les voisins sont les bienvenus.
Le jardin est fleuri. Cependant, la plus belle rose, une rose en bouton, vit au-dedans. Cette rose qui reste blanche du premier au dernier jour de l’année, cette rose, c’est Jeanne, la fille d’Henri.
Jeanne
Pour elle, pour tous les autres, Henri a pris un orphelin sous sa protection.
La guerre n’emporte pas que des soldats, elle fait aussi pleurer des enfants. Elle tue père et mère pour un rocher, une ville, un symbole.
Jeanne a mon âge. Henri est tout pour elle. Henri a perdu sa femme, trois ans plus tôt, un hiver de grand froid.
Jeanne, c’est le soleil… l’eau, la vie.
Elle est belle comme une fée, pure comme une source, sans vice et sans péché. Jeanne, c’est mon salut. Nous grandissons ensemble, au début, pendant un an ou deux, comme frère et sœur, la main dans la main… Mais bientôt, on ne se quitte plus des yeux, et nos doigts que ne faisaient que se toucher, se serrer par tendresse, s’effleurent, se frôlent sous la table, se cherchent dans l’ombre.
Le jour, on se tient à distance pour ne pas éveiller les soupçons d’Henri et sa colère, qui peut-être terrible. Mais le soir, on se retrouve dans le silence. L’été, nous marchons dehors au clair de lune, nous courons le long des chemins, nous allons rafraîchir nospieds dans le cours des ruisseaux. Nos baisers ont une odeur de printemps, un parfum de miel.
Les mois passent. Nous sommes bien jeunes encore. Mais nos natures respectives sont fortes et volontaires. Je suis un homme, elle est une femme. Nos corps se découvrent et nos cœurs s’embrasent… notre vie s’illumine.
Cinq ans ont passé depuis ma fuite de Rouen et Henri n’a toujours pas été rappelé. Il fait des démarches. Son nom reste un exemple, mais son ennemi est puissant, et son ennemi ne pardonne pas. Henri s’absente parfois plusieurs jours, nous laissant seuls, en compagnie de ses gens. Des gens dévoués qu’il traite simplement. Il n’a jamais eu les moyens ni l’envie de jouer près d’eux les coqs de la paroisse. D’ailleurs, le plus souvent, ce sont eux qui le nourrissent. Mais s’il vient à toucher un peu d’argent – il lui arrive même parfois de rapporter une bonne bourse tombée à point nommé –, il n’hésite pas à en faire profiter tout le monde. Les départs d’Henri, nous nous prenons Jeanne et moi, qui l’aimons tant pourtant, à les espérer avec impatience. Nous n’avons plus peur alors de partager le même lit, de déserter le toit au temps des grandes chaleurs et de nous aimer sous les nues, de nous réveiller en plein champ, entourés par une couronne d’oiseaux, sous le bercement du vent.
Henri me considère comme son fils. Le fils que sa femme n’a pas eu le temps de lui donner. Je le soupçonne d’avoir des amours cachées, expliquant ses absences régulières. Sa maîtresse pourrait d’ailleurs le supplier d’accepter ses dons et de ne jamais revenir chez lui la main vide.
Mais Henri est fier. Peut-être craint-il la réaction de sa fille. Jeanne au contraire, ne demande que le bonheur de son père. Et nous attendons tous deux le jour où Henri ne reviendra plus seul de ses excursions, le jour où il osera franchir le pas.
Oui, Henri me traite comme son fils et je l’aime comme un père.
Je pense peu au mien. Ma destinée était ailleurs. Je l’ai choisie.
Henri m’a tout appris. À commencer par le maniement des armes. Je suis devenu son disciple, un briseur de lames, un tireur d’élite. Pour cela, il m’a fallu suivre un entraînement assidu. Tu n’as qu’un défaut, me dit un jour Henri en me désarmant. Ton cœur est trop tendre. Quand il se bat, le cœur d’un escrimeur doitêtre froid comme une lame. L’épée n’est que le prolongement de ton esprit. Que ta main demeure souple et légère, mais ta volonté doit être inébranlable. Au moindre doute, au premier relâchement, ton adversaire aurait le dessus. Je n’ai jamais oublié ce précieux conseil.
— Jean, me dit-il un jour, aimerais-tu être mousquetaire ?
Autant demander à un martyr s’il veut monter au ciel.
— Mousquetaire ! Je donnerais tout pour cela, dis-je…
— Et pour cela, moi, je te donnerai mon nom. Je veux faire de toi mon fils légitime. Je suis d’ailleurs sur le point de revenir en grâce. Sans ce nom, le mien, le nôtre, tu ne pourrais franchir les degrés. Tu
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