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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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ne pourrais endosser la casaque bleue frappée d’une croix blanche, tu ne pourrais servir le roi, notre maître, notre Dieu, à la pointe de l’épée.
    Oui, c’est tout ce que j’espérais. Tout ce que Jeanne redoutait.
    Nous voulons déclarer notre amour, ne plus le vivre dans le secret.
    Nous voulons nous marier.
    Mais comment épouser celle que l’on aime si l’on porte le même nom qu’elle ? Si la loi des hommes la désigne comme votre propre sœur ?
    La pièce du destin
    Il faut donc choisir.
    La gloire ou le bonheur.
    L’ombre du foyer ou la lumière des honneurs.
    Impossible. D’un côté ou de l’autre, le sacrifice est trop grand. Je serais un époux sans être un homme ? Un soldat du roi désertant son cœur, un héros reniant son serment ?
    La naissance, hélas, ici-bas, décide de tout.
    Il faut naître du bon côté, là où les places sont réservées, pour espérer être quelque chose. Être béni par la chance pour avoir la Fortune ou plus simplement ce qui vaut davantage que tous les prestiges et tous les privilèges… pour pouvoir être soi-même !
    Impossible d’accepter une fois encore cet arrêt du sort, de laisser ce bourreau du destin qu’est la Fatalité trancher pour moi, m’obliger à décapiter un rêve pour en sauver un autre, la moitié de ce tout qu’est ma vie, mon présent et ma destinée !
    La loi de notre société est un ogre. Cet ogre qui règne en tyran dans nos campagnes n’inquiète jamais de sa visite ces maîtres et seigneurs vivant à l’abri, dans leurs forteresses, au sommet de la colline. Il se nourrit en massacrant les troupeaux, il affame ceux qui n’ont que la terre. La loi, à nous gens d’en bas, nous prend nos espoirs, nos désirs d’élévation, tout ce qui pousse plus haut que nos têtes, tout ce qui nous dépasse et le tranche de sa faux, le brise entre ses mains de géant.
    Oui, comment trouver une sortie à cette impasse ? Une issue à ce verdict sans appel ?
    La solution se présente d’elle-même.
    Il y a d’invisibles cimes entourant la voûte des cieux. On lance un cri, une prière au-dessus de soi, et l’appel voyage dans les cieux… Tôt ou tard, le message ayant été reçu, l’écho nous revient, la réponse tombe entre nos mains. Il faut la saisir ou la laisser s’enfuir.
    Un beau jour, Henri m’envoie à Paris. J’y dois déposer quelques lettres de sa part et acheter plusieurs provisions. Henri m’a recommandé de suivre un trajet précis, quitte à allonger le parcours. Il veut me faire éviter les quartiers ténébreux et les sentiers perdus de la capitale. Attrait de l’interdit. J’ai toujours eu pour habitude d’aller là où il ne faut pas mettre les pieds. C’est ainsi que j’oublie un instant, par curiosité – ce péché originel qui voua l’homme à sa perte –, mes recommandations et mes obligations. Au fond, Henri n’aura pas à s’en plaindre puisque je ne ferai que traverser l’Enfer. Le détour étant un raccourci, je ne prendrai pas de retard sur ma mission. Plein de vie et de charmes, l’interdit est diablement tentant. J’aime ces sombres rues, ces tavernes populeuses. J’ai l’impression d’y avoir ma place, je sais que j’y serai à mon aise, je sens que je pourrais y faire sensation.
    Puisque tout compte fait, j’ai du temps devant moi, je vais même m’accorder un verre. Je n’ai pas dix-sept ans, mais mon apparence fait illusion. Je suis bien bâti, large d’épaules, solide comme un chêne, on ne viendra pas me chercher querelle.
    Je passe donc la porte d’un cabaret borgne, lieu enfumé, agréablement bruyant. La nature, c’est un temple, une harmonie constante et variée, sans fausse note ; la ville, un chaudron en ébullition. La première vous nourrit, la seconde vous attire. L’une vous donne, l’autre vous prend.
    On vient m’apporter mon verre.
    À la table voisine deux hommes viennent de s’installer. Deux gentilshommes, manifestement. L’un d’eux prend la parole. Ce qu’il dit vient à mes oreilles et fait battre mon cœur à folle allure.
    — Je suis pauvre, mon ami, tondu comme Job. En désespoir de cause, pour ne pas être réduit à me nourrir de racines, je vends les miennes, enfin, je les joue. Oui, je vais mettre ma peau sur la table, ou plutôt, soyons honnêtes, l’enveloppe cachetée de ma destinée, ce morceau de parchemin où sont attestées mes lettres de noblesse. Ma noblesse de vieille roche. Voyez à quoi tiennent les grandeurs de ce monde

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