Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
chez moi. Je ne veux pas être comme eux.
— Tu es le fils du bourreau, n’est-ce pas ?
— Comment le savez-vous ?
— Je suis resté caché quelques instants, avant d’intervenir : j’en ai suffisamment entendu. Ces hommes m’ont volé hier au soir, pendant mon sommeil. Ils ont tué un jeune ami qui m’accompagnait et qui les avait surpris en flagrant délit. J’ai retrouvé leurs traces et je les ai suivis jusqu’ici. Donc, tu es le fils de l’exécuteur, et si je comprends bien, tu ne veux pas donner la mort…
Puis, en me montrant le maraud couché à mes pieds, il précise :
— Du moins pas sans de bonnes raisons.
— Je veux vivre comme les autres, avec eux.
— J’ai peut-être mieux à t’offrir. Ce jeune homme qu’ils ont tué, sans pitié, était aussi mon élève, je le formais. Que dirais-tu de le remplacer ? Tu te défends par instinct, mais l’instinct ne suffit pas. Veux-tu apprendre ?
— Oui, j’aimerais… de tout mon cœur.
— Dans ce cas, dit-il en me montrant mon cheval, tu peux monter derrière. Et si le cheval fatigue, tu marcheras.
Je regarde fixement cet homme, et je lui pose une question qui m’intrigue :
— Vous les avez vus me taper dessus, non ?
— Oui.
— Et vous les avez laissé faire.
— Disons que je voulais voir ce que t’avais dans le ventre. Alors, tu veux toujours venir ?
— Où m’emmenez-vous ?
— Chez moi. À cinq lieues de Paris.
— Mais qui êtes-vous ? Comment vous appelez-vous ?
— Henri, dit-il en me faisant signe de le suivre.
Je reste immobile.
— Mon prénom ne te suffit pas… Tu veux tout savoir. J’étais soldat du roi, jeune homme, mais, dit-il en soulevant sa cape surson épaule, et me révélant une manche vide, pendante, mousquetaire à demi n’est plus bon à rien.
Bon lièvre revient mourir au gîte.
L’adieu aux armes
J’ai donc fui la province de Rouen, deuxième ville de France, pour gagner, à dos de cheval, celle de Paris, centre de l’univers. Oh, cependant, mon sauveur, celui qui deviendra mon précepteur et mon père de substitution, logeait encore à bonne distance des universités, des palais et des cathédrales.
Son humble demeure est nichée dans un hameau paisible et sans attrait notoire. À quelques lieux de la capitale, ce mousquetaire contraint de retrouver la paix vit en pleine campagne.
Henri n’est pas riche. Sa vieille noblesse arbore un écusson terni par les fumées d’arquebuses – cette sombre patine fait tout l’éclat de son nom et la fierté de sa race. Ses ancêtres furent tous des foudres de guerre n’ayant jamais songé à conquérir d’autres biens que ces bastions et ces fanions pris à l’ennemi. Le plus grand privilège auquel on reste attaché, dans cette vieille famille, est celui de tomber pour le roi, flamberge au vent, au beau milieu du champ d’honneur.
C’est à Montpellier, au côté de Condé, au cours d’une sanglante bataille, sombre défaite pour les armées des Lys, qu’Henri perdit son bras. La blessure occasionnée par un éclat de boulet avait emporté une bonne partie du membre, le gauche. Il fallut amputer le reste. Henri reçut l’ordre de rentrer chez lui. Ce retour qui n’aurait pu être qu’une retraite momentanée sonna sa chute. Henri n’était pas seulement un blessé de guerre – à la guerre un blessé se relève et repart au combat –, mais un capitaine frappé à la face par le soufflet de la disgrâce.
Comme ces chevaliers en armure qu’une lance a désarçonné, un chevalier disgracié se trouve cloué au sol, aussi impuissant à se redresser qu’un scarabée tombé sur le dos. Celui qui, debout, fut maître de camp, se voit sans défense face aux plus faibles et aux moins honorables que lui. Il ne lui reste alors qu’à attendre un salut inespéré : qu’une main tendue le remette sur pied.
Avant l’assaut décisif, Henri avait eu le malheur de contester la stratégie de son chef, Henri de Condé, prince de sang. Il vitavec lucidité et anticipation les conséquences d’un plan irréfléchi : ses hommes conduits à une mort certaine, un revers irréparable. La défaite des troupes royales avait hélas donné raison à l’impertinent, qui eût peut-être mieux fait de garder sa langue dans sa poche.
L’infirmité fut donc un prétexte pour renvoyer ce fort en gueule. J’avais vu ce que ce cavalier était capable de faire sans l’appui de son bras gauche.
Rentré chez lui, Henri s’y sent comme un lion en
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