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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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Tolède.
    — Vous avez visé trop haut, vous m’avez imaginé plus grand que je ne suis, conclut Molière en repoussant le tas de pièces.
    — Là n’est pas la question, corrige l’aventurier. Votre esprit si original est en train de se former. Laissez-vous le temps de vous connaître avant de vous découvrir et de paraître sur le devant du monde avec ces mots qui vous rendront immortel.
    — Cependant, du temps, nous en manquons, dit Hercule en se levant et en ouvrant une fenêtre, pour passer la tête hors de la taverne. Nous avons les financements, le désir, la force, et cependant, il nous manque encore l’essentiel… Une plume.
    Après avoir été emportés par le triomphe de l’enthousiasme – celui d’un jeune page amoureux, d’un cœur en état de grâce – après avoir cru tous ensemble, comme un seul homme – un homme de foi – qu’un prodige allait s’accomplir devant nous,nous voyons notre beau projet s’en aller en lambeaux comme les armes d’Orléans. Ce courant d’air qui entre par la croisée nous réveille. Molière saisit ce nouveau feuillet près duquel il s’était penché, le front ridé, l’esprit noué, cette damnée page blanche, miroir de sa stérilité, qu’il renonce à labourer davantage. Il approche le papier de la chandelle et le laisse s’enflammer. Ce geste est significatif. La cendre se disperse aux quatre vents, et nous voyons le rêve partir en fumée.
    Hercule reste songeur, les bras croisés, penché vers l’extérieur. Il respire le parfum de la rue. Puisque rien de bon ne sort de cette pièce fermée, puisque le vin semble engourdir la pensée au lieu de la faire danser, n’acceptant pas de se résigner tout à fait, il cherche dans l’air, dans le bruit, dans la foule des passants, dans le mouvement, une nouvelle piste, un aliment de départ pour combler le vide, ouvrir l’appétit de l’inspiration.
    Molière le rejoint.
    Il comprend son ami, sans avoir à le questionner.
    — La rue est un vivier, dit-il. On y voit tous les profils, on y parle toutes les langues. Le peuple s’y exprime avec ses entrailles, les faux dévots avec leur voix de tête, c’est une basse-cour et un musée, il y a des fossiles, des espèces en voie de disparition et de nouveaux spécimens. Les plus fiers sont les plus colorés, les plus noirs s’imaginent être les plus respectables. Il faut se promener dans les faubourgs, écouter les bavardages, chaque individu semble être un instrument singulier, à corde ou à vent, percussion ou cymbale, celui-là est un clairon, celle-ci un grelot… Ah, que ne voulez-vous une comédie ! Le drame se joue à l’intérieur, mettant face à face le cœur de l’homme et sa conscience, mais la comédie, c’est la vie du dehors, le spectacle du monde. C’est là qu’est ma place. Ceci, dit Molière en désignant la rue, est mon foyer, mon jardin, ma source, mon motif, mon royaume. Vous avez raison, monsieur de Tolède, je suis fait pour jouer dans de grandes salles, mais ces salles combles seront celles d’un théâtre au grand air, dont les gradins seront les marches des escaliers au bas des maisons, les loges des princes ces fenêtres aux étages.
    Mais alors qu’il soupire et s’exalte en même temps, Molière aperçoit un revenant.
    — Pardieu, monsieur, dit-il encore une fois à l’adresse de l’aventurier, voici votre compagnon.
    Fortunio de retour, un inconnu se présente
    En effet, Fortunio, accompagné de son luth, traverse la rue et passe la porte du Gai Passant . Il semble être dans l’un de ses meilleurs jours.
    — Quand on cherche, on trouve, dit-il en saluant l’assemblée d’abord et tout particulièrement Amadéor ensuite. Oui, Fortunio devait avoir suivi la piste de son maître, de place en place, avant de franchir la bonne porte.
    —Ah, Fortunio ! dit Amadéor en se levant pour inviter le troubadour à s’asseoir, tu tombes à point nommé. Où étais-tu passé ? Voilà bientôt deux jours que je suis sans nouvelles. Que t’est-il arrivé ? Une mauvaise affaire ?
    — Je dirais plutôt une heureuse rencontre, dit Molière en observant l’arrivant. Je gagerais que notre homme est amoureux.
    — Amoureux ? Lui ? Impossible… dit don Juan de Tolède, c’est un cœur de pierre, il ne vibre qu’au son de son luth, aux accents de sa voix.
    — Eh bien, la pierre, dit Fortunio en prenant place sur un banc et en remplissant son verre, la pierre ne reste froide qu’en hiver, aux beaux jours elle peut

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