Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
être brûlante.
En voyant comme le chansonnier vide sa coupe, l’aventurier commente :
— Ma parole, la pierre est en effet asséchée, elle boit comme la terre. Molière a raison, seule une femme peut ainsi vous changer un homme. Fort bien, que Fortunio nous fasse profiter de sa flamme. Récapitulons pour lui : Hercule veut passer commande d’une tragédie, dédiée à l’élue de son cœur… Molière semblait tout indiqué pour la rédaction du drame, mais ce nouveau registre – la tragédie – n’est pas encore le sien. Nous cherchons des idées, nous sommes même prêts à les acheter à prix d’or. Celui qui nous arrachera des larmes, celui qui saura nous conduire d’acte en acte jusqu’au dénouement solennel, emportera la mise.
— Hélas, dit le poète en prenant une pièce dans le tas dispersé avant de la remettre à sa place, vous savez comme je manqued’imagination, je fais avec ce que je vois et je ne vois pas plus loin qu’après l’instant présent. Ne comptez pas sur moi pour le gros œuvre, hélas… tout au plus pour les intermèdes, il faut connaître ses limites et savoir pour quoi l’on est fait.
Le don Juan a beau insister, faire respirer à son compagnon le parfum de l’or, Fortunio n’a pas l’air de s’émouvoir davantage. Il a la tête et le cœur ailleurs. Il songe sans doute à celle qu’il vient de quitter. Faute de substance, la mort dans l’âme, nous allons devoir nous quitter, sur une défaite. Mais alors que nous nous levons, une voix étrangère, venue du fond de la salle, nous pousse à nous rasseoir.
— Vous avez raison, monsieur, dit l’homme derrière nous, chacun doit avoir sa part, comme chacun doit connaître son rôle. Certains commencent les histoires, d’autres les poursuivent, et parfois, c’est un encore un troisième qui les signe en y mettant le point final.
Cet homme mystérieux doit avoir une cinquantaine d’années. Nous distinguons mal les traits de son visage. Une faible lueur brille devant lui, celle d’une chandelle sur la fin. Il se décoiffe d’un vieux chapeau orné d’une simple plume, qu’il pose devant lui, à côté d’une paire de livres. Ses gestes sont lents, sa voix est douce. Le timbre est profond, il impressionne. Cet homme se fond dans le décor, pourtant, il suffit d’avoir croisé son regard, de l’avoir entendu s’exprimer, pour se demander pourquoi on ne l’avait pas remarqué plus tôt.
Don Juan de Tolède l’interroge :
— Quelle sorte d’homme êtes-vous, cher monsieur ? Seriez-vous auteur vous-même ?
— Je crois être un homme libre, répond l’inconnu. J’écris des vers comme je les déclame, j’ai composé quelques pièces, je rédige mes mémoires en faisant couler tour à tour sur le papier de l’encre, des larmes et du sang. Car il m’est arrivé plus d’une fois de tirer l’épée, et la vie m’a montré tous ses côtés.
— Quel est votre nom ? demande Molière.
— François de Lyon.
Tout le monde se regarde. Mais personne n’a jamais entendu parler de cet auteur.
— J’imagine en effet, reprend l’individu, que mon nom vous est inconnu. Pourtant, je ne suis plus jeune. C’est qu’en vérité…j’ai beaucoup tiré l’épée. Le sang que j’ai fait couler a sans doute recouvert ma signature de son cachet de cire.
— Pourriez-vous nous aider ? demande aussitôt Hercule en comprenant que l’homme n’a pas perdu un mot de notre conversation.
— J’ose le croire.
— Monsieur, je suis en mesure de payer. Je ne demande qu’à applaudir et à vous récompenser.
— Ma foi, l’argent du travail bien fait est toujours bon à prendre. Je ne le cache pas.
— Mais approchez, monsieur, approchez, prenez place avant de prendre la parole, continue Hercule en invitant le nouveau venu à nous rejoindre.
L’homme se déplace. Il emporte ses livres, son chapeau. Il ne porte pas d’arme, mais l’on croit deviner comme si elle était là, l’emplacement et la présence de cette rapière certainement légendaire.
La fenêtre est toujours ouverte.
On entend les gens bavarder dans la rue, les cavaliers trotter. Hercule s’apprête à fermer la croisée, mais notre invité l’enjoint à n’en rien faire. Puis, il s’adresse à Fortunio, en désignant son luth :
— Jouez donc de votre instrument, monsieur, vous me donnerez la note. Que la musique mette en harmonie le bruit du dehors et le silence du dedans. Ce milieu est le mien, ce point
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