Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
dit d’Artagnan, est bien le chef de cette bande de mercenaires, traînant aux abords du théâtre de l’hôtel de Bourgogne et employée par monsieur Henri de Gaillusac, l’ambassadeur de la Cabale, pour couper la route d’Edmond de Villefranche.
— Vous pouvez chanter un beau cantique, d’Artagnan ! reprend-t-il. Avec un autre que moi, je ne donnais par cher de votre peau ! Et je vous laisse imaginer dans quel état on l’aurait offerte aux charognards : écorchée, brûlée, rouge et noire.
— Tout de même, dis-je en tâtant mon visage, vous n’y êtes pas allé de main morte.
— Plaignez-vous ! Des bleus et des bosses, pour donner le change. Quant à l’étranglement, il s’agissait juste de vous faire perdre connaissance. Ainsi assoupi, vous faisiez un mort des plus convaincants, plus vrai que nature. Ça nous a aidés à passer les contrôles, jusqu’à la grande porte. Eh oui, monsieur, on peut être brigand et honnête homme. Les contraires font parfois d’heureux mariages.
— Je vous croyais simple brigand, assassin sur commande, détrousseur et malandrin, mais vous êtes manifestement plus encore : tourmenteur, exécuteur.
— Pour le particulier, uniquement. Riche, cela va de soi. Eh oui, je suis un homme de tous métiers. La vie est dure quand on a que ses mains. Faut savoir élargir ses compétences, sans cracher dans la soupe. Croyez-moi, pour ce genre d’activité, qui demande du doigté et de la prudence, un cœur insensible, la main-d’œuvre qualifiée ne court pas les rues. Des intermédiaires sont venus me chercher, on m’avait recommandé… Je venais de connaître un échec, j’avais perdu mes troupes, mais tout le monde n’est pas obligé de savoir ce qui s’était vraiment passé, ce soir-là… Je dois veiller à ma réputation, elle me nourrit. D’ailleurs, j’aimerais autant qu’on ne puisse pas vous retrouver, ça me porterait préjudice, voyez-vous. Cachez-vous, faites-vous oublier, c’est votre libérateur qui vous le demande.
Belles-Manières me cède sa cape pour couvrir ma chemise ensanglantée, son chapeau pour cacher mon visage déformé, ainsi que l’un des deux chevaux tirant son véhicule pour me permettre de disparaître au plus vite.
Il me tend la main et me dit enfin, avant de me quitter :
— Serviteur, d’Artagnan et tâchez de faire bon usage du temps qu’il vous reste à vivre. Ce n’est pas tous les jours qu’on a droit à une seconde chance.
Don Juan de Tolède prend connaissance des événements avant d’apporter des nouvelles
Le brigand Belles-Manières a raison. Je dois désormais me faire oublier, rester dans l’ombre, ne plus montrer ma tête. Il faut composer avec la situation et jouer le jeu. L’ennemi, désormais rassuré, doit s’imaginer avoir réduit au silence la créature de Mazarin. La voie est libre .
Cependant, je veux retrouver mes alliés, leur faire connaître la nouvelle situation. Tout cela va nous obliger à réviser nos plans. Je parviens à rentrer dans l’hôtel Au soleil d’or sans être reconnu, en passant par une porte dérobée, en tapinois. Sans un bruit, je regagne ma chambre et j’attends le retour d’Amadéor, en espérant qu’il viendra bientôt. Du reste, je dois m’allonger, à bout de force.
L’aventurier arrive enfin.
Je lui recommande le silence. À voix basse, il me demande l’explication de ces ecchymoses. Je lui raconte toute l’histoire.
— Cela change tout, me dit-il. Vous voilà contraint de demeurer en retrait.
— Pour la fête chez Gaillusac, il faudra me trouver un remplaçant.
— Fortunio.
— Ainsi, il sait… que vous êtes l’agent du cardinal ?
— Il l’ignore. Mais je vais devoir lui dire la vérité. Je réponds de Fortunio corps pour corps. Il a l’habitude de se grimer, de se prêter à mes comédies. Il jouera votre rôle à merveille.
— Depuis combien de temps le connaissez-vous ?
— Huit mois. Mais je le répète, il est sain comme une cloche.
— En parlerez-vous à Son Éminence ?
— J’essayerai. Mais le temps presse. Mazarin veut des résultats, il les aura. Pour les moyens, j’ai toujours eu carte blanche.
— Dans ce cas…
— Dès demain, il faudra vous trouver un nouveau refuge, j’y songerai. Pour le reste, n’ayez crainte, je viendrai vous faire mes rapports. Vous saurez tout, de concert avec Son Éminence. Justement, je dois déjà vous apporter des nouvelles. Notre affaire se corse.
— Je vous écoute.
—
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